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Le duc de Rovigo, ministre de la police, sentait si bien dans quelle fausse situation s’était placé l’empereur, qu’il ne négligea aucun effort pour dérouter l’opinion. Ses affidés furent chargés de faire partout courir le bruit que l’arrestation des trois prélats ne se rattachait nullement aux affaires du concile. Comme M. Hirn, évêque de Tournai, était peu connu à Paris, les plus zélés défenseurs de l’empire ne manquèrent pas de propager sur le compte de ce prélat les bruits les plus étranges. L’écho s’en retrouve dans les mémoires laissés par le duc de Rovigo, sans qu’il soit possible de s’expliquer comment le ministre de la police a pu jamais ajouter foi à d’aussi bas mensonges[1]. Les évêques de Gand et de Troyes étaient trop répandus dans la société parisienne pour être en butte à de pareilles calomnies ; on voulut donner à entendre qu’ils avaient eu l’imprudence de nouer des intrigues coupables avec le cardinal di Pietro pour établir des vicaires apostoliques dans les évêchés dont les sièges étaient vacans. Est-il besoin de dire que rien n’était plus faux ? L’empereur se gardait bien de recourir personnellement à ces ruses pitoyables. Il y a plus ; s’il ne lui déplaisait pas que son ministre parvînt à donner le change au vulgaire, il aurait été fort contrarié de le voir rassurer trop complètement les collègues de M. Hirn, de M. de Broglie et de M. de Boulogne. C’était surtout afin de les mieux épouvanter qu’il avait envoyé les trois prélats à Vincennes. En cela du moins, il avait parfaitement atteint son but. « Les beaux temps du concile étaient passés, dit la relation trouvée dans les papiers de l’évêque de Gand. Jusqu’à l’arrestation des évêques, les pères du concile s’étaient conduits avec plus de fermeté qu’on n’aurait osé l’espérer ; mais à partir de ce moment nous allons entrer dans une période de honte, d’avilissement et de lâcheté[2]. »

A la nouvelle de l’arrestation de l’évêque de Gand, Mme la marquise de Murat, sa sœur, et la marquise de Lameth, sœur du maréchal de Broglie, s’étaient rendues chez le cardinal Fesch. L’oncle de l’empereur commença par assurer à ces dames qu’il était fort attristé de ce qui venait de se passer ; mais il ne pouvait absolument rien faire pour elles, étant trop mal avec son neveu. — « J’espère cependant, dit Mme de Murat, que vous prendrez fait et cause pour les prisonniers. Leur cause est la vôtre, car vous étiez

  1. Des renseignemens que nous avons tâché de nous procurer dans le diocèse de Tournai, il résulte que jamais, de son vivant ni après sa mort, — qui eut lieu en 1819, quoique le duc de Rovigo parle de M. Hirn comme s’il vivait encore en 1828, époque de la publication de ses Mémoires, — on n’a entendu parler des bruits que l’ancien ministre de la police s’efforça d’accréditer au sujet de ce prélat.
  2. Relation manuscrite du concile de 1811, trouvée dans les papiers de M. de Broglie, évêque de Gand.