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réussir. Peu de temps après la dissolution du concile, rencontrant dans les salons de Saint-Cloud l’évêque de Digne, M. Miollis, frère du gouverneur de Rome, l’empereur voulut à toute force le contraindre à se prononcer incontinent en sa faveur et contre le saint-père. M. Miollis essaya de se tirer d’embarras en répondant avec une simplicité toute chrétienne, bien placée dans sa bouche, car c’était un saint prêtre : « Sire, je suis dans l’habitude de ne prendre aucun parti important sans consulter le Saint-Esprit ; je vous demande donc un peu de temps, » A quatre jours de là, Napoléon l’aborda de nouveau. « Eh bien ! monsieur l’évêque, lui dit-il, que vous a répondu le Saint-Esprit ? — Sire, repartit M. Miollis, il m’a répondu tout le contraire de ce que m’a dit votre majesté[1]. »

Nous savons par le témoignage même de M. Carletti, évêque de Montepulciano, comment M. Bigot de Préameneu s’y prenait de son côté pour arriver aux mêmes fins. Le ministre des cultes, après avoir raisonné de son mieux avec le prélat qu’il tenait dans son cabinet, lui demandait de signer une sorte de formule d’adhésion au décret de l’empereur ; cette formule était toute préparée sur son bureau. Après quelques hésitations, la plupart avaient fini par céder. Les évêques italiens s’étaient peut-être encore moins fait prier que les autres. Il n’en fut pas toutefois ainsi de M. Carletti. Ne voulant pas traiter à fond la question avec le ministre des cultes, il se contenta de lui répondre « qu’il était bien désolé de se voir obligé de refuser quelque chose à son souverain, mais que c’était un point fixé par la discipline générale de l’église. Au pape seul, il appartenait de donner l’institution canonique aux évêques. » M. Carletti ajouta qu’il ne pourrait admettre le décret sans perdre la confiance des fidèles de son diocèse et sans les scandaliser. — « Mais personne ne le saura. — Ma conscience le saura, et cela me suffit. — Vous vous imaginez donc que sa majesté voudra dépendre du pape pour l’institution des évêques ? Cela ne sera jamais. » Cette fois M. Carletti ne répondit que par un signe de tête qui disait assez haut : en ce cas, le schisme est inévitable. Dans une seconde entrevue, le ministre de l’empire insista plus fortement. Il parla des concessions faites par sa sainteté, dont il avait les preuves en main ; cela devait suffire pour passer outre. « Non, répondit le prélat italien, car elles n’ont ni la forme ni l’authenticité requises. — Vous vous trouverez en bien petit nombre, car la majorité a déjà souscrit. — S’il en est ainsi, vous n’avez aucun besoin de ma signature[2]. »

  1. M. Miollis, à propos des Misérables de M. Victor Hugo, par M. Ch. de Ribbe. — M. Miollis, évêque de Digne, passe en effet pour avoir fourni les principaux traits de l’évêque mis en scène dans le roman de M. Victor Hugo.
  2. Lettre XIII de M. Carletti, insérée dans le volume XII des Mémoires de l’abbé Baraldi.