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un dogme chrétien. Tout le monde sait en effet que la croyance à la providence est antérieure au christianisme, et qu’elle se trouve exprimée dans les termes les plus précis chez Socrate et Platon. Socrate disait : « Sachez quelle est la nature et la grandeur de la Divinité, qui peut à la fois tout voir, tout entendre, être présente partout et prendre soin de tout ce qui existe ! » Et Platon : « Avoue donc que les dieux connaissent, voient, entendent tout, et que rien de ce qui tombe sous les sens et l’intelligence ne peut leur échapper. » La providence n’est donc pas un dogme exclusivement chrétien, ni même exclusivement religieux ; c’est en même temps une doctrine philosophique. On pourrait tout aussi bien compter l’existence de Dieu parmi les dogmes chrétiens.

Si l’on s’étonne de voir au nombre des dogmes chrétiens une doctrine toute philosophique, on s’étonne aussi de certaines omissions singulières dans le credo dogmatique présenté par M. Guizot. Comprend-on par exemple que le dogme de la trinité n’y soit pas mentionné ? Qu’est-ce que le christianisme sans la trinité ? Qui est-ce qui distingue le christianisme du judaïsme ou du mahométisme, si ce n’est précisément la trinité ? Sans elle, l’incarnation et la rédemption sont impossibles. Voilà bien, il faut l’avouer, un dogme fondamental. Cependant non-seulement M. Guizot l’omet dans la table des cinq dogmes essentiels, mais je ne crois pas me tromper en disant que dans tout l’ouvrage ce dogme n’est nulle part mentionné. Dira-t-on qu’il est implicitement contenu et affirmé dans le dogme de l’incarnation ? Soit pour le Père, qui envoie son Fils, soit encore pour le Fils, qui est envoyé par le Père : voilà bien deux personnes de la sainte trinité ; mais où est la troisième ? Que devient le Saint-Esprit dans cette théologie ? Il n’est pas, que je sache, nommé une seule fois. On peut donc s’en passer sans trop d’inconvéniens. Où est alors l’égalité entre ces deux personnes, dont l’une remplit le livre de son nom et de son esprit, et dont l’autre est complètement absente ? Et, si l’égalité des trois personnes divines n’est pas un dogme fondamental, pourquoi l’égalité de deux d’entre elles en serait-elle un ?

On est encore étonné de voir M. Guizot passer entièrement sous silence le grand débat qui a mis l’Europe en feu au XVIe siècle, pour lequel, dans les deux églises, tant de grands hommes sont morts martyrs de leur foi, le débat sur la présence de Jésus-Christ dans l’hostie. Eh quoi ! au point de vue chrétien, il serait indifférent de croire à la présence corporelle ou à la présence spirituelle de Jésus dans l’eucharistie ! Je pourrais être chrétien, non de spéculation, mais de cœur, d’âme et de pratique, et ne pas savoir si, en approchant de la sainte table, c’est Jésus-Christ lui-même, corps et