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âme, que je vais m’assimiler, ou si au contraire l’hostie n’est qu’un symbole d’une assimilation toute spirituelle ! On n’est pas moins étonné de voir M. Guizot renvoyer aux théologiens le débat de la grâce et du libre arbitre, de la foi et des œuvres. Encore une fois, qu’est-ce que le christianisme, si la doctrine de la grâce, la doctrine de la justification, sont des doctrines lâches et arbitraires dont on prend ce qu’on veut, et que l’on accommode suivant les temps aux exigences profanes du sens commun, abandonnant le dogme lui-même dans sa précision et dans sa rigueur au pédantisme théologique ? Qu’est-ce donc qu’une telle foi, sinon une philosophie ?

Pour M. Guizot, tout protestant libéral est un rationaliste, tout rationaliste un panthéiste, tout panthéiste un athée. On sait que ce mode de déduction à outrance, que Leibniz appelait l’argument ad vertiginem[1], a été inventé par l’abbé de Lamennais dans son Essai sur l’indifférence ; mais on oublie qu’il le faisait remonter bien plus haut, et qu’il disait du protestantisme lui-même en général ce que M. Guizot dit du protestantisme libéral. Lorsqu’on voit en effet à quel point la théologie de M. Guizot est latitudinaire, avec quelle liberté il fait son choix entre les dogmes, laissant de côté ceux qui peuvent être les plus désagréables à l’imagination de notre siècle (le diable, les peines éternelles, le petit nombre des élus…), pour ne conserver que ce qui lui paraît le strict nécessaire, il est difficile de voir dans cette théologie choisie et triée autre chose qu’un demi-christianisme logiquement entraîné au rationalisme.

Prenons cependant tel qu’on nous le présente ce christianisme rudimentaire, avec ses cinq dogmes fondamentaux : création, providence, péché originel, incarnation et rédemption. De ces cinq dogmes, les deux premiers ne sont pas, à proprement parler, des dogmes chrétiens. Nous n’en voulons d’autre preuve que le témoignage de M. Guizot lui-même, pour qui l’on cesse d’être chrétien en niant la divinité de Jésus-Christ, lors même qu’on continue de croire à la providence et à la création. Restent donc, pour constituer essentiellement le christianisme, trois dogmes fondamentaux : péché originel, incarnation et rédemption. De ces trois dogmes, les deux derniers sont évidemment les conséquences du premier. En effet, sans péché, point de rédempteur, et sans la rédemption point d’incarnation. Ainsi le christianisme tout entier est contenu dans le dogme de la chute originelle.

C’est ici qu’il faut admirer avec quelle facilité les esprits les plus vigoureux et les plus solides arrivent à abonder dans leur propre

  1. Argument qui consiste à vous pousser à un abîme ; en vous faisant voir les conséquences extrêmes de vos idées.