Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’électeur, les personnes réputées savantes s’occupaient encore à chercher la pierre philosophale et à découvrir le moyen de produire de l’or à volonté. Qui n’avait besoin d’or en effet ? Il en fallait pour le jeu, il en fallait pour les toilettes, il en fallait pour payer jusqu’aux valets de chambre de l’électeur. Il y avait cependant à la cour un petit parti de réformateurs ; mais tous leurs efforts venaient se briser contre le mauvais vouloir des courtisans. « On fait des projets d’économie, écrivait une des filles d’honneur de l’électrice. M. de Bercheim les conduit tant bien que mal à leur fin. Tout le monde se borne à le maudire et à désirer le voir pendre, et nous autres, femmes de la cour, nous sommes de ce nombre. » Désordre, frivolité, ignorance, corruption, telle était à cette époque la devise de la cour de Bavière.

Au fur et à mesure que, grâce aux indiscrétions de la correspondance d’Elliot, le voile qui recouvrait ce petit coin assez obscur de l’Europe se soulève à nos yeux, une réflexion vient assaillir et embarrasser l’esprit. Combien de fois n’a-t-on pas déclamé contre les scandales que présentait le spectacle de l’ancienne cour de France et contre les mœurs dissolues de notre ancienne société ! Combien de fois n’a-t-on pas voulu chercher dans ces scandales l’explication et l’excuse des excès de la révolution ! Voici cependant une cour et une société qui certes n’étaient pas moins profondément gangrenées, et qui présentaient avec la cour et la société françaises plus d’une frappante ressemblance. Cet électeur qui étale effrontément au grand jour ses amours adultères, n’est-ce pas Louis XIV ou Louis XV ? Cette épouse trahie et délaissée, n’est-ce point Marie-Thérèse ou Marie Leckzinska ? Mme de Torring, n’est-ce pas Mme de Montespan ou la duchesse de Châteauroux ? Ces fragiles filles d’honneur ne nous remettent-elles pas en mémoire ces suivantes d’Anne d’Autriche, les La Mothe-Houdancourt, les Pons, les Mortemart, dont la maréchale de Navailles jugeait prudent de faire griller les fenêtres ? Ces ministres frivoles qui prennent des expédiens pour des remèdes ne nous font-ils pas penser aux Maurepas et aux Calonne, tandis que ces réformateurs qu’on désire voir pendre nous rappellent les Turgot et les Necker. Eh bien ! en dépit de ces scandales, la Bavière n’a point vu le sang de ses souverains couler sur la place publique, ni l’échafaud, dressé en permanence, moissonner la fleur de sa noblesse. Elle n’a point eu ses révoltes, ses guerres civiles, ses proscriptions. Elle n’a ressenti que le contre-coup affaibli du grand ébranlement dont le sol de la France tremble encore. Qu’en faut-il conclure, sinon que dans les affaires humaines il y a toujours un inattendu qui déjoue les calculs, et une disproportion entre les effets et les causes qui déconcerte la raison ? Sachons nous en convaincre,