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et n’essayons pas après coup de prévoir l’imprévu, et d’expliquer l’inexplicable.

Assurément la cour de l’électeur Maximilien, telle que nous venons de la dépeindre, était un dangereux séjour pour un ministre de vingt-deux ans ; ajoutons que le caractère d’Elliot en augmentait pour lui les périls. Romanesque et inconstant, énergique et entraînable, indolent et chevaleresque, voilà comment il nous est représenté par sa petite-fille, et comment il nous apparaît dans les lettres de M. Liston. Ainsi nous apprenons que dès son arrivée il fut en butte « aux obsessions brutales et véritablement masculines de toutes les femmes de la cour, » et Liston lui fait compliment, non point d’avoir résisté à toutes, mais d’avoir su ménager la vanité de celles dont il avait repoussé les avances. Il ne faudrait donc pas trop se fier à ce qu’Elliot écrivait à la même date. « Il est fort heureux, disait-il, qu’il n’y ait pas en Bavière une seule femme un peu passable, sans quoi j’aurais dû apprendre à parler en pastor fido ; ici c’est la langue de tout le monde. » Jolies ou non, une volumineuse correspondance avec les dames de la cour paraît avoir principalement rempli les journées d’Elliot durant les trois années qu’il passa en Bavière. De dépêches, peu ou point. Il est vrai de dire que cette oisiveté diplomatique avait son excuse dans le calme qui régnait alors en Europe au lendemain et à la veille des plus violentes tempêtes. Parmi ces lettres que le hasard a conservées, et qui certes n’étaient point faites pour la publicité, il en est beaucoup signées d’un nom mystérieux, Delta, qui servait, à ce qu’il paraît, à cacher une des filles d’honneur de l’électrice. Elles sont toutes en français et du tour le plus agréable. On regrette que lady Minto n’en livre pas davantage à notre curiosité. Les commérages y tiennent naturellement une grande place. La belle Adélaïde (c’est ainsi qu’on appelait Mme de Torring) était alors malade et triste à mourir ; on commençait à parler de sa retraite. Delta s’indigne à cette pensée, et jure qu’elle est encore bien trop jolie pour cela. Les liaisons royales ne sont pas les seules qui la préoccupent. « Les amours de B… et de C… sont finies quant à l’extérieur ; ils s’aiment encore, mais n’osent le dire. Le directeur de C… la porte à renoncer à son inclination pour M…, qui la demande en mariage. Elle déclare qu’elle renonce à lui ; la bouche le dit, le cœur ne le pense pas ; ils s’aiment toujours, et n’en sont que plus malheureux. Les amours du gros L… et d’Y… sont finies, mais assez mal, car ils n’ont pu venir à l’amitié après leur rupture ; ceux de M… et de R… sont plus tranquils… »

Cet usage constant des initiales produit un effet assez singulier. On dirait, remarque spirituellement lady Minto, que les lettres de