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même de ces instructions, il se crut autorisé à tenter une démarche singulièrement hardie. Il quitta furtivement Copenhague, et, traversant la Baltique, vint aborder à Stockholm. Il trouva la ville en révolution. On ne savait où était Gustave, qui, voyant le sénat et la noblesse mal disposés à la guerre, s’était mis à parcourir les campagnes en appelant les paysans aux armes. De village en village, Elliot partit à sa recherche, et finit par le rejoindre au fond de ces mêmes contrées sauvages de la Dalécarlie où le héros légendaire de la Suède, Gustave Wasa, avait jadis cherché un refuge. Gustave était là, seul, sans escorte, haranguant les ouvriers des mines. On peut juger quelle fut sa surprise en voyant apparaître Elliot, et la vivacité des propos qui s’échangèrent entre eux. Elliot le pressait d’accepter la médiation de l’Angleterre, qu’il prenait sur lui d’offrir. Le roi refusait de croire à ses assurances et parlait de se jeter dans les bras de la France. « Sire, s’écria Elliot, prêtez-moi votre couronne, et je vous la rendrai avec éclat. » Le ton convaincu d’Elliot triompha des hésitations du roi, et tous deux, retournant sur leurs pas, se prirent à courir la poste à cheval pour aller se jeter dans la ville de Gothenbourg, que l’armée danoise se préparait à investir. En quelques jours, la place fut mise en état de défense, grâce à l’activité d’Elliot, qui, rappelant ses souvenirs du siège de Silistrie, visitait les remparts en compagnie du roi et surveillait les travaux des fortifications comme s’il n’eût fait autre chose de sa vie. Quelques jours après, l’armée danoise déployait ses rangs au pied des murailles de Gothenbourg. Le moment était venu pour Elliot de s’interposer, et assurément le prince royal, qui se trouvait dans l’armée danoise, eût été en droit de faire un singulier accueil à ses offres de médiation. Sans ordres, sans instructions, il avait quitté la cour du souverain auprès duquel il était en mission pour se mettre au service d’un prince ennemi. Il ne s’était pas contenté de prendre moralement fait et cause pour lui, il s’était enfermé dans la place assiégée, et il avait paru dans les rangs des troupes chargées de la défendre. Aussi lady Minto se fait-elle quelques illusions quand elle attribue uniquement à l’habileté, à l’influence, à l’autorité morale de son grand-père l’heureuse issue de l’étrange et délicate mission dont il s’était chargé. Si les mémoires du général danois Falckenskiold lui étaient tombés sous la main, elle y aurait vu que les fatigues d’une longue marche, les rigueurs de la saison, la maladie, la famine, avaient réduit l’armée des assiégeans à une position non moins critique que celle des assiégés. Aussi, quand Elliot apparut inopinément dans les rangs des Danois, un projet d’armistice à la main, il fut salué par eux comme un dieu sauveur tout comme il l’avait été par Gustave au fond de la