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Dalécarlie. Durant les lenteurs de la négociation, Elliot entretint habilement chacune des deux armées dans l’erreur où elle était plongée au sujet des véritables ressources de l’autre, persuadant tantôt à Gustave et tantôt au prince royal qu’un armistice était leur unique moyen de salut, et, tandis qu’en réalité il travaillait uniquement dans l’intérêt de son pays, parvenant à leur faire croire à tous les deux, qu’il n’avait d’autre objet en vue que le bien de la Suède et celui du Danemark. Un traité fut signé en sa présence, sous ses auspices ; mais il dut avoir quelque peine à réprimer un sourire quand dans l’effusion de leur reconnaissance les deux princes lui donnèrent solennellement le titre « d’ami commun du nord. » Ajoutons cependant qu’Elliot profita de son crédit momentané sur l’esprit de Gustave pour lui adresser une lettre dans laquelle il l’exhortait, dans le style un peu ampoulé du temps, « à prendre désormais pour guide son cœur noble, généreux, sensible, et à faire le sacrifice de cette malheureuse gloire, qui ne s’écrit qu’en lettres de sang et ne s’éternise que par le souvenir de la dévastation des provinces et de la désolation des peuples. » La récompense d’Elliot ne se borna pas aux remercîmens chaleureux de Gustave et aux éloges qu’il reçut après coup du cabinet anglais. Le bourgmestre de Gothenbourg fit tout exprès le voyage de Copenhague pour lui apporter une médaille accompagnée d’une lettre en latin qui débutait ainsi : « La postérité, monsieur, se ressouviendra toujours avec admiration du rôle glorieux que vous avez joué au siège de Gothenbourg. » La postérité oublieuse a singulièrement trompé l’attente du brave bourgmestre. Que ce soit du moins notre excuse pour nous être arrêté si longtemps sur ce singulier épisode.

Elliot quitta Copenhague en 1790. Nous ne le suivrons pas plus loin dans sa carrière diplomatique, et nous ne l’accompagnerons ni à Dresde, où il passa obscurément dix années, ni à Naples, où il s’efforça vainement de faire passer dans l’âme de la reine Caroline et du pusillanime Ferdinand quelque chose de son indomptable énergie. Avant de prendre congé de lui, il faut qu’on nous permette de revenir ici un peu en arrière pour donner tout son développement à l’un des épisodes les plus curieux du livre de lady Minto, celui des relations de Hugh Elliot et de son frère aîné Gilbert avec Mirabeau.

Ces relations remontaient pour tous trois jusqu’aux jours de leur enfance. Hugh et Gilbert avaient été élevés en France dans une pension semi-militaire, semi-ecclésiastique, tenue par un certain abbé Choquart, où le marquis de Mirabeau avait fait enfermer « son rude fils » sous le pseudonyme de Pierre Buffière. C’est cependant sous son véritable nom que Mirabeau, trop vain sans doute