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pour garder le secret de sa naissance, est désigné dans les lettres des deux jeunes Elliot. Ils ont de l’amitié pour lui, bien qu’ils le trouvent suffisant, et bien que ses intolérables prétentions fassent naître parfois des querelles entre Hugh et lui. Leur éducation terminée, les deux Elliot retournèrent en Angleterre, et toute relation entre eux et Mirabeau demeura interrompue jusqu’au jour où, ses fautes, ses malheurs et l’éclat de ses procès ayant valu à ce dernier les prémices d’une réputation européenne, Hugh Elliot, alors ministre à Copenhague, saisit l’occasion du passage d’un voyageur français pour faire parvenir à son ancien condisciple l’assurance de sa sympathie et des offres de service assez vagues. Mirabeau s’enflamme, et écrit à Elliot une longue lettre que nous voudrions pouvoir citer ici en entier. Après s’être écrié en commençant : « Croyez, homme noble et généreux, que je ne prendrais pas encore le nom sacré de votre ami, si j’en étais indigne, » il raconte à sa manière toute son histoire, attribuant ses malheurs à « une aventure honorable et d’éclat, mais qui heurtait le gouvernement dans son opération favorite, la révolution parlementaire » (l’enlèvement de Mme de Monnier, sans doute). Il demande ensuite conseil à Elliot sur la direction qu’il convient de donner à sa vie, et déclare en terminant qu’il ne lui serait point agréable de vivre en Angleterre, parce que, son nom y étant déjà connu, « il y sera nécessairement un homme de convention, et qu’il ne lui sera point permis d’y être l’homme de la nature, ce qui est un grand malheur pour quiconque se sent un peu au-dessus des rêves de la vanité humaine. » Nous l’y trouvons néanmoins quelques mois après, et cette fois c’est à l’amitié de Gilbert Elliot qu’il fait appel. Dans les lettres écrites par Mirabeau à cette date, il parle avec emphase de l’intérêt touchant que lui porte Gilbert Elliot et de son dévoûment vraiment fraternel. Il eût été assez médiocrement flatté, s’il avait pu lire ce que de son côté Gilbert écrivait à son frère Hugh. « Mirabeau est aussi tranchant en conversation, aussi étrange dans ses manières, aussi laid, aussi sale, et avec tout cela aussi suffisant qu’il l’était il y a vingt ans, lorsque nous l’avons connu. Je l’ai amené ici avec moi l’autre jour. Aussitôt arrivé, il s’est mis à faire la cour à Henriette comme s’il s’attendait à lui tourner la tête en huit jours ; il a clos la bouche de ma femme, qui, en vraie John Bull, ne comprend rien au caractère français ; il a fait crier mon petit garçon en voulant le caresser, il s’est emparé de moi depuis le déjeuner jusqu’au souper, il a jeté tous nos amis dans la stupéfaction ; en un mot, il s’est comporté de telle sorte que j’ai eu de la peine à faire prendre patience à tout le monde. Fort heureusement il a été rappelé à Londres ce matin, car ma