Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvement. On ne s’explique guère une différence aussi radicale dans des espèces qui font partie du même genre ; mais voici l’objection capitale qu’on peut faire à la doctrine. Comment expliquer la transformation de l’énergie du principe intermédiaire en force capable de remuer les atomes ? Est-il plus difficile de concevoir l’action à distance d’un atome sur un atome que l’action de la force sur l’atome, si l’atome et le principe intermédiaire sont choses absolument dissemblables, le premier matériel, le second transcendant, le premier esclave du temps, de l’espace, le second indépendant de l’un et de l’autre, le premier fini, le second infini ?

Dès que l’on admet que le monde est composé de deux élémens distincts, l’élément matière et l’élément dynamique, — l’harmonie qui se révèle à tout moment entre les mouvemens et les forces est une sorte d’harmonie préétablie. De même que la sensation est le lien entre l’intelligence et le monde, la force sert de lien aux parties corporelles ; mais d’où part le mouvement ? La force l’imprime à l’atome ; or la force, en tant qu’agent de mouvement, ne naît que sur l’atome. Avant de prendre, pour ainsi dire, un corps, elle n’existe qu’à l’état transcendant ; chaque fois donc que remue un atome, il faut invoquer une sorte de miracle ; chaque fois que bouge une molécule, il s’opère une transformation d’énergie dynamique qui échappe à toute investigation scientifique, je dirai plus, à toute conception de l’imagination humaine. Était-ce bien la peine d’échafauder à grand’peine un système qui ne jette aucune lueur sur les obscurités où la science cherche prudemment un chemin ? Il n’est que trop aisé de triompher des imperfections de la physique moderne, de faire ressortir le caractère nécessairement borné de ses synthèses ; mais il est moins aisé de dépasser les provinces où elle est souveraine et de conquérir des empires nouveaux à l’intelligence humaine.

On conçoit aisément qu’en face des phénomènes de l’âme, de la volonté, de la liberté, l’homme sente le besoin de croire à autre chose qu’à la matière tangible, à des mouvemens atomiques, à des forces serviles. On peut même trouver naturel qu’il éprouve cette nécessité quand il cherche simplement à résoudre le problème de la vie, car l’esprit est frappé du premier coup par l’étonnant contraste entre les fatalités du monde physique, entre l’inaltérable sérénité de ses modes immortels et les luttes dramatiques de la volonté, la liberté de la pensée, les agitations de la conscience. Nous sentons remuer en nous un je ne sais quoi qui se joue du temps, de l’espace, qui se précipite sur l’infini, qui semble échapper à toute règle, qui proteste au moins contre toutes les tyrannies matérielles. La philosophie tend donc à remonter jusqu’à un principe spirituel,