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sous ses ruines. La cathédrale, le seul édifice vraiment gothique que contienne la Hollande, est aussi fort digne d’intérêt, et vous fait remonter d’un bond en plein XIVe siècle. Cette cathédrale, par une coïncidence singulière, présente la plus étroite ressemblance avec une de nos propres cathédrales, celle de Limoges. Même position, même caractère architectural, et, chose curieuse, même histoire. Toutes deux s’élèvent au sommet de l’ancienne ville, qu’elles dominent comme le siège même du pouvoir, la citadelle, la cour de justice, le lieu de refuge en cas de guerre et de tumulte ; toutes deux sont bâties sur le même plan, datent de la même époque, et inspirent le même sentiment de profonde tristesse. D’autres églises autrement belles, autrement renommées, ne parlent pas un langage aussi vraiment chrétien, car nulle ne dit avec une aussi morose douceur que l’homme est poussière et cendres. Enfin les deux cathédrales ont cela de commun, que leurs clochers sont à une distance considérable de l’église ; la tempête et la foudre, en détruisant la partie de l’édifice qui les reliait, ont dans les deux régions opéré cette singularité, que l’incurie méridionale d’un côté et la lenteur hollandaise de l’autre n’ont jamais songé à réparer. C’est de nos jours seulement, après deux siècles, que les habitans d’Utrecht se sont enfin décidés à effacer les traces d’une tempête qui remonte à la seconde moitié du XVIIe siècle. Le temps avait eu le loisir d’emporter maison des Bourbons, maison des Stuarts, maison d’Autriche, de transformer en roi l’électeur de Prusse, de créer la Russie et l’Amérique, que ces bons Hollandais d’Utrecht n’avaient pas encore eu le loisir d’enlever quelques centaines de charretées de pierres encombrantes. A la bonne heure ! et voilà un pays où il fait bon vivre à l’abri de la fiévreuse activité moderne. Non loin de la cathédrale se trouve un débris fort excentrique du passé, le quartier des jansénistes, maussade labyrinthe de petites ruelles qui se coupent et s’entre-croisent comme une enfilade de corridors, avec son église à façade d’habitation bourgeoise, témoignage des jours où le catholicisme était réduit à se cacher dans l’intérieur des demeures. J’ai visité le quartier janséniste avec l’empressement que l’on peut supposer à un Français ; mais la vérité m’oblige à dire que les parfums de piété que j’étais allé y respirer se sont trouvés mélangés d’autres arômes dont mon nerf olfactif n’a conservé aucun plaisant souvenir. Un détail curieux : tout contre l’église janséniste se trouve une autre église catholique sans grande apparence. J’entre, et la première chose qui frappe mes yeux, c’est une sculpture de la chaire représentant le chien qui tient la torche allumée entre les dents. Nul doute, j’étais dans une église dédiée à saint Dominique, si terrible aux hérétiques. Comment donc une église placée sous cette redoutable