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invocation s’élève-t-elle si près du quartier janséniste ? Le hasard a de ces rapprochemens singuliers.

Une autre communauté plus bizarre que le jansénisme, mais celle-là appartenant au protestantisme, celle des frères moraves, possède un établissement à Zeist, à quelques lieues d’Utrecht. Pendant que j’étais dans le Nord-Hollande, je n’avais pas voulu visiter Broeck, peut-être parce que j’en avais trop entendu parler ; je n’y ai rien perdu, puisque j’ai vu Zeist, car je doute que le célèbre Broeck l’emporte sur ce ravissant village. C’est ce que l’on peut voir au monde de plus élégant, de plus paré, de plus parfumé. La nature y est propre comme si tous les esprits élémentaires en faisaient chaque matin la toilette ; pas un grain de poussière, pas une tache, pas une moisissure ; à la surface du canal qui longe l’établissement des moraves, un manteau de lentilles vertes seulement, mais cela évidemment pour le charme et le complément du tableau. Tout est verni, luisant, brossé, lustré ; arbres, buissons et habitations ont l’air de sortir d’une boîte : c’est un paysage d’un dandysme accompli. Au centre de cette riante localité s’élève le vaste établissement des frères moraves. Je fus peu curieux de visiter l’intérieur de l’édifice, ayant quelques années auparavant parcouru tout à loisir le quartier que les frères occupent depuis le dernier siècle dans la pieuse petite ville de Neuwied, sur le Rhin ; mais à Neuwied je n’avais pu voir le cimetière morave, et je tenais à satisfaire cette curiosité, éveillée en moi depuis longtemps par quelques très belles phrases de Mme de Staël dans son livre de l’Allemagne. Un jeune bourgeois morave de la plus parfaite politesse s’offrit à moi pour me servir de guide. C’était le fils d’un fabricant de zincs d’art, morave comme lui et comme lui de manières courtoises. Après m’avoir fait parcourir les ateliers de son père et m’avoir expliqué avec la plus patiente complaisance tous les détails de la fabrication, — car, obéissant aux aimables instincts de la nature humaine, dès que je lui vis tant de bonté, je m’empressai d’en abuser, — il me donna tous les petits renseignemens nécessaires pour arriver au cimetière. Ce ne fut pas sans quelque difficulté que je le trouvai. Pendant un quart d’heure, je parcourus une campagne verte, coupée de petits jardins, sans apercevoir aucun de ces indices sinistres qui annoncent un cimetière. Enfin je distingue un mur de clôture de petite dimension, et une porte ouverte me découvre quelque chose de semblable à l’enclos d’un modeste propriétaire pour qui les vœux d’Horace auraient été exaucés. J’hésitai quelques minutes à entrer, incertain de savoir si j’étais dans une propriété particulière d’où l’on pouvait venir me mettre à la porte, ou dans un de ces fiefs communs à l’humanité tout entière dont nul ne nous chassera quand nous en aurons pris possession. C’était un jardin un