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force active, indivisible, inétendue. Ils s’entendent encore en ceci, que les corps diffèrent de l’esprit, non parce qu’ils sont formés d’élémens étendus, mais parce qu’ils sont des agrégats de monades simples, tandis que l’esprit, — la conscience le proclame, — n’est nullement un agrégat. Sur la simplicité absolue des atomes corporels, M. Vacherot est très décidé. Ce n’est pas lui qui dira que la force est inhérente à la matière ; ce langage lui paraît très justement inintelligible. A ses yeux, la matière est constituée uniquement par la force, ni plus ni moins. Il raie donc l’étendue de la liste des qualités propres de la matière et ne croit point détruire par là l’étoffe dont les corps sont faits. Ainsi, dans les Essais de philosophie critique, point de différence substantielle entre la matière et l’esprit ; mais les différences d’attributs y sont maintenues expressément. L’auteur ne tolère pas le moindre rapprochement analogique entre les forces physiques et chimiques, si actives qu’elles soient, et les mouvemens propres de l’âme humaine saisis par la conscience. Tout au reours, M. Ravaisson[1] attribue à la force chimique, physique, physiologique, peu importe, non-seulement des tendances, des affinités, des penchans, mais même de la volonté. A presser les conséquences de cette pensée, il faudrait dire qu’il y a de la volonté dans les atomes de la molécule d’acide carbonique qui tend à s’unir à la chaux, et que c’est cette volonté atomique qui produit le carbonate de chaux. Si partisan que l’on se sente de l’induction psychologique, on hésite à pousser les analogies jusque-là. Quant à M. Janet[2], il incline à reconnaître une hiérarchie de monades de plus en plus riches en attributs, depuis l’atome réduit aux propriétés mécaniques jusqu’à l’âme libre. Ces monades, il ne pense pas qu’elles soient toutes capables de vouloir, comme semble l’insinuer M. Ravaisson. Elles sont, à ses yeux, le premier degré de l’âme en quelque sorte. Si M. Vacherot accordait que l’activité dynamique de la matière est pareille à notre faculté de tendre, de mouvoir, d’attirer, moins toutefois la conscience, si de son côté M. Ravaisson, renonçant à distinguer deux écoles quand il n’y en a vraiment qu’une, retranchait à l’atome la volonté pour ne lui laisser que son activité fatale, l’accord serait complet. Les nouveaux leibniziens diraient unanimement que le premier degré de la hiérarchie monadologique est marqué par l’atome destitué de puissance affective, volontaire et intellectuelle, mais doué des énergies diverses que lui attribue la science actuelle. Toutes les vraisemblances, tous les signes d’activité restreinte que donne l’atome, sont en faveur de cette doctrine. C’est qu’en effet, si la raison humaine n’est pas le jouet de ses

  1. La Philosophie en France au XIXe siècle, p. 230.
  2. Œuvres philosophiques de Leibniz, publiées par M. Paul Janet. Introduction, p. XXIII et suiv.