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de la nature ou plutôt de l’habitude, qui est une seconde nature, selon le mot d’Aristote. Voilà ce qui explique comment on peut dire que l’homme est plus ou moins libre en comparant les. individus entre eus ou les états divers d’une même vie individuelle. S’il y a toujours liberté d’agir de manière que l’homme reste responsable de son acte, il n’y a ni la même force de volonté, ni la même pression des mobiles, ni la même influence des motifs. En ce sens, il est juste de dire que la liberté est en raison inverse de l’entraînement des passions et en raison directe de l’intuition des idées. Oui sans doute, moins l’homme a de passions, et plus il a d’idées, plus il est libre. L’état de sagesse est le moment de suprême liberté, sous le règne de cette sorte de nécessité morale qui peut être absolue chez l’être parfait, mais qui n’est jamais entière chez l’homme le plus sage. C’est qu’en effet l’obstacle à l’exercice du libre arbitre n’est pas dans l’action des idées ; il est dans l’action des passions sur l’être libre. N’est-ce pas une vérité de conscience que nous sentons une espèce de violence faite à notre volonté dans le cas d’un entraînement passionné, tandis qu’au contraire nous nous sentons en pleine possession de nous-mêmes et en plein exercice de notre pouvoir volontaire dans le cas d’une pure délibération intellectuelle ? Voilà ce que nous apprend ce sens intime dont nos physiologistes et nos positivistes négligent les intuitions comme n’ayant rien de commun avec la science positive.

Sur les autres grands faits de la vie psychique tels que l’enthousiasme, la fureur, la folie, l’excentrique originalité du génie en certains cas, les savans dont nous venons de parler se trompent par le même usage incomplet de la méthode psychologique. Quand on regarde, ainsi qu’ils le font, l’homme moral du dehors et dans les manifestations extérieures de son activité, on s’arrête aux signes physiques et aux caractères physiologiques de ces phénomènes ; on ne pénètre pas jusqu’aux caractères intimes, aux causes véritables de ces divers états. Socrate et Pascal pouvaient offrir à une observation superficielle les apparences de l’hallucination par leurs façons de parler et d’agir ; mais il suffit d’entrer dans l’analyse intime de ces deux natures pour voir que la raison de l’un, pas plus que l’intelligence de l’autre, n’avait rien à craindre soit d’une simple illusion d’optique psychologique, telle que le démon de Socrate, soit d’une superstition mystique, telle que l’amulette de Pascal. Qui voit la constitution de l’esprit humain à la lumière de la conscience n’aura jamais la pensée de confondre le génie et l’idiotisme par cette seule raison que ces deux états si profondément différens de la vie psychique peuvent affecter les- mêmes apparences extérieures. Il n’y a que la méthode physiologique qui puisse aboutir à une pareille conclusion. Au lieu de s’arrêter à la surface de