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la vie humaine et de se laisser prendre à certains signes équivoques, de l’état physiologique, pour peu que l’on pénètre dans l’état psychologique, on voit au contraire un développement supérieur de la raison, du sentiment, de la volonté, là où le physiologiste n’avait observé ou supposé qu’une affection pathologique. Où trouver une raison plus droite que chez Socrate, une volonté plus libre, enfin, ce qui est le signe par excellence de la santé de l’âme, un plus parfait équilibre des facultés ? Où trouver un esprit plus lucide que chez Pascal, une logique plus ferme, une pensée plus réfléchie et plus maîtresse d’elle-même à tous les momens de son existence maladive et tourmentée ? Où trouver plus de bon sens pratique que chez Jeanne Darc, une volonté plus virile, une plus grande présence d’esprit, que dans l’héroïque entreprise de cette fille inspirée et dans l’affreux procès qui la termine ? Sur le suicide, la physiologie n’est-elle pas également incompétente lorsqu’elle l’explique par une sorte d’aliénation mentale ? Comprend-elle bien le vrai suicide, non celui qui s’exécute dans un accès de fièvre chaude ou de folie furieuse, mais celui qui s’accomplit en pleine conscience des motifs de l’acte, et par une calme résolution de la volonté ? En cela, nous serions bien plutôt de l’avis des moralistes qui ont vu dans cette tragique action l’une des manifestations les plus énergiques de la liberté humaine. Enfin, chez ces grands criminels dont la physiologie fait autant de maniaques et de monomanes, qui pourra nier, leur biographie à la main, la claire conscience du dessein, le calcul réfléchi des moyens, le parfait sang-froid dans l’exécution, c’est-à-dire tous les signes d’une personnalité libre et responsable ? Que conclure de tout ceci ? Que ces phénomènes extraordinaires de la vie humaine appartiennent à la psychologie, qui seule a le droit de les définir et de les qualifier, tout en laissant à la physiologie la tâche d’en déterminer les conditions organiques et d’en décrire les effets pathologiques.

Il faut rendre cette justice à la psychologie tout expérimentale et tout historique de MM. Stuart Mill et Littré qu’elle est trop clairvoyante pour se laisser abuser par de pareilles analogies ; mais, si elle ne commet pas de telles erreurs, elle montre son insuffisance, nous dirions même son incompétence, quand il lui faut pénétrer au-delà des manifestations extérieures de la vie psychique. Ce genre d’observation excelle à constater, à analyser, à décrire, à classer, même à réduire en lois les faits moraux ; rien de moins, rien de plus. S’il s’agit de voir et de définir les caractères intimes de ces phénomènes, de saisir l’acte dans le fait, la faculté dans l’acte, le sujet et la cause elle-même dans la faculté, il est nécessaire d’y joindre l’observation ou plutôt l’intuition propre de la conscience.

Il s’est élevé entre les physiologistes et les psychologues, entre