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écrivait-on au comité bâlois, nous sommes avec vous. Genève est à Bâle, et Bâle est à Genève. » Comme dans un duel à outrance, les champions devaient se succéder ; Genève n’entra en ligne que lorsque Bâle eut épuisé son feu. Ici, l’Association, internationale marchait sur un terrain qui lui était familier et où elle avait conduit, non sans quelques déboires à la vérité, une campagne pour les ouvriers du bâtiment. Cette fois elle se proposait d’engager dans l’action une industrie plus ancienne, plus susceptible d’émouvoir le public par la nature de ses services, celle des ouvriers d’imprimerie. Le hasard, la fatalité plutôt, l’avaient en cela servie à souhait. Il existait à Genève depuis dix-neuf ans une société typographique qui, sagement conduite, s’était constitué un fonds d’épargne au moyen auquel des secours de toute nature étaient distribués à ceux de ses membres que frappait quelque incapacité de travail. Cette caisse bien garnie avait excité tout d’abord les convoitises de l’Association internationale, souvent à court de ressources ; point de trêve que cette caisse ne fût tombée dans ses mains. L’expédient était des plus simples, absorber la petite société dans la grande ; c’est ce qui eut lieu en mai 1868. Le maniement des fonds prit dès lors quelque élasticité, quoi de plus naturel, L’œuvre d’assistance tétait devenue une œuvre de propagande ; au lieu de soulagemens individuels, on avait en perspective un enrichissement collectif par la stratégie des grèves. Aussi rien ne sembla-t-il plus urgent que d’avoir un laboratoire convenable pour la recherche de cette pierre philosophale. Il s’agissait d’acquérir un immeuble assorti à la grandeur de l’entreprise, et le plus net des épargnes de la société typographique y passa. En revanche on lui promit de faire payer aux maîtres imprimeurs, par d’ingénieux remaniemens des tarifs, la folle enchère de cette dépense.

Cette seconde exécution ne marcha pas néanmoins comme la première, il est plus aisé de vider les caisses que de les remplir. En vain nommait-on commission sur commission ; plusieurs mois s’écoulèrent en conférences avortées. C’est que dans ces groupes mal assortis régnait déjà un trouble mêlé de regret : deux camps s’étaient formés, l’un où l’on devait garder quelques ménagemens, l’autre disposé à courir les aventures, simple dissentiment d’abord, dégénérant plus tard en incompatibilité absolue. Le débat portait sur la rançon qu’on imposerait aux maîtres imprimeurs ; au gré des plus ardens, cette rançon ne pouvait pas être assez forte ; il fallait battre monnaie avec les tarifs et reconstituer le fonds commun par des rentrées immédiates ; les plus rassis, les plus calmes d’entre les ouvriers s’opposaient à ces excès, et demandaient qu’on réglât les salaires sur les forces de l’industrie qui devait les supporter.