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auxquels le suffrage universel donnait tort, aussi bien que les consentemens attristés qui auraient paru dictés par la flatterie ou par l’intérêt. Alors les écrits inspirés par une juste colère gardaient toute leur autorité, et il était impossible à la critique de les juger avec impartialité, de séparer le pamphlet de l’œuvre durable. Aujourd’hui nous lisons des histoires du coup d’état, on compte les victimes, on glorifie la mémoire de celles qui sont noblement tombées. Dans les deux camps, les meilleurs esprits ont reçu la leçon des faits. Les uns, obéissant à la fatigue, les autres, mieux inspirés par l’espoir, les plus sages, se rendant à la prudence, ont résolu de se détourner d’un passé sur lequel ceux-ci ne peuvent transiger, ni ceux-là passer ouvertement condamnation. Ils se tournent vers le présent, décidés à ne voir en lui que la France. Dans une telle situation, nous ne saurions prétendre même au mérite de la hardiesse en rendant justice aux belles pages enflammées des deux premières œuvres que le poète envoya de son exil. Ce qu’il nous est permis d’espérer, c’est qu’on verra dans nos appréciations le gage d’un jugement indépendant ; nous ne demandons pas d’autre honneur à l’étude que nous nous sommes proposée.

Ces deux ouvrages marquèrent un progrès dans le talent de l’auteur, sinon dans sa pensée. Depuis quelque temps déjà, ses efforts pour se renouveler étaient visibles. En poésie, beaucoup de bons esprits lui reprochaient d’exagérer sa première manière au lieu de s’en donner une autre. En prose, il semblait délaisser le roman, qui lui avait valu un de ses plus grands succès ; il ambitionnait les triomphes de la tribune. Il voyait là sans doute l’occasion de grandir, de rajeunir sa gloire, toute pleine encore de fraîcheur et de jeunesse ; mais l’épreuve restait douteuse. A la tribune, il n’y a pas d’enfant sublime. « On naît poète, a dit un ancien, on devient orateur. » Les juges désintéressés furent d’avis que le poète n’avait pas assez oublié ses préfaces et ses drames ; d’ailleurs le combat n’avait pas assez duré pour que cet homme politique tout rempli de métaphores et d’effets de style apprît à se servir d’armes nouvelles. Le malheur et l’exil furent plus puissans que le travail et les combats de la parole ; ils firent sortir de l’âme de M. Victor Hugo des flots inattendus de poésie et d’éloquence.

Disons-le sur-le-champ, Napoléon le Petit ne mérite pas d’être mis au rang des Châtimens. Ce n’est pas à cause des invectives et des violences que nous parlons ainsi : de ce côté, les deux ouvrages n’ont rien à s’envier l’un à l’autre, et même il y a plus de furieuses vengeances dans le second ; l’exil, on le sent, y est plus définitif, la défaite plus entière et plus irrémédiable. Le premier est daté du continent, presque de la frontière de France ; il combat pour ainsi