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bitent ceux dont il est ici question sont en grande partie les plus belles de l’Europe, si elles étaient partout cultivées et vivifiées par l’industrie, alors, nations déchues, jadis nations laborieuses et florissantes, vous sortiriez de votre long sommeil : brisant vos fers, vous jouiriez enfin de votre belle patrie depuis l’Adriatique jusqu’aux monts Carpathes, depuis le Don jusqu’à la Baltique, les paisibles fêtes du commerce et de l’industrie y renaîtraient de toutes parts[1]. »

Avant que cette prophétie se réalise, les Slaves d’Autriche, comme les Polonais du duché de Posen, ont encore bien des luttes à soutenir, et c’est précisément une de ces luttes, une lutte d’un caractère tout nouveau, que nous racontons ici. On vient de voir les principaux argumens des publicistes tchèques et allemands dans cette vive discussion de 1865. Entre de tels adversaires, aucune conciliation n’était possible, puisque les Allemands, battus sur le terrain du droit, en étaient réduits à invoquer leur doctrine théocratique, la doctrine d’une mission providentielle qui les charge de dominer les races inférieures. C’est alors que des politiques hongrois, voyant la colère des Allemands contre les Tchèques, eurent l’idée d’exploiter cette colère, et conçurent le projet du dualisme. Au point de vue magyar, c’était une conception aussi habile que hardie. Le parti Deák proposait aux Allemands de partager avec eux la monarchie autrichienne, c’est-à-dire de former un empire austro-hongrois, dont chaque partie aurait sa vie propre, son parlement, son administration, sous le sceptre du même souverain et avec un ministère commun pour les affaires communes. À ce prix, la réconciliation était faite entre le cabinet de Vienne et les Hongrois. Le gouvernement impérial, qui ne se sentait plus en mesure de poursuivre la lutte à la fois contre les Slaves et les Magyars, prêta l’oreille à ces propositions. Le germanisme viennois abandonnait une moitié de ses prétentions pour sauver le reste. Comme dans un incendie, on faisait la part du feu.

A la distance où nous sommes des affaires de l’Autriche, le dualisme austro-hongrois nous a paru tout d’abord une œuvre libérale et digne d’encouragement. N’était-ce pas le point de départ d’une transformation qui ne pouvait s’accomplir du premier coup, n’était-ce pas un engagement solennel envers toutes les populations de l’empire? En faisant capituler les Habsbourg, les Hongrois n’avaient-ils pas remporté une victoire qui devait profiter aux Tchè-

  1. Herder, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, livre XVI, chapitre IV. — J’emprunte l’éloquente traduction de M. Edgar Quinet en la modifiant légèrement pour serrer le texte de plus près.