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ques, aux Polonais, aux Roumains? Les défenseurs du droit de la Bohême, jugeant les choses au point de vue tchèque, n’en augurèrent pas de même, ils formulèrent même leurs protestations en termes très vifs. Dès que ce mot de dualisme fut mis à l’ordre du jour, dès que les hommes d’état autrichiens parurent accueillir la pensée de M. Deák une année avant Sadowa, une année avant l’arrivée de M. le baron de Beust, M. Palaçky déclara au nom de son pays que le dualisme austro-hongrois était le pire des systèmes, un système inique et qui ruinerait la monarchie. Mieux valait la centralisation, même la plus dure, la centralisation du prince de Schwarzenberg et du baron de Bach; oui, quelques maux qu’elle eût causés à l’état, quelques ressentimens qu’elle eût soulevés, cette centralisation désormais reconnue impossible valait encore mieux que le dualisme. Qu’était-ce en effet que ce partage de l’empire entre les Allemands et les Hongrois? Une centralisation double, c’est-à-dire une aggravation du despotisme et de l’iniquité pour tout ce qui n’était ni Hongrois ni Allemand. Au lieu d’une machine à compression, il y en aurait deux. Les Slaves du nord de l’Autriche seraient écrasés par les Allemands, les Slaves du sud par les Hongrois. Les peuples dont le dualisme ne s’inquiète pas, ajoutait-il, ceux dont on ne daigne pas prononcer le nom, c’est la race qui a la majorité de l’empire. Allemands et Hongrois, même en se réunissant, n’atteignent pas au nombre des Slaves. Il y a en Autriche 8 millions 1/2 d’Allemands, 5 millions 1/2 de Magyars; les Slaves sont 16 millions[1]. Quel mépris pour ces 16 millions de Slaves dans l’idée d’organiser une Autriche où il ne sera pas question d’eux! car il ne faut pas se leurrer de vaines espérances, ce ne serait pas un commencement, ce ne serait pas une promesse, ce serait tout un système. Résolus à étouffer le progrès des Slaves autrichiens, les Allemands et les Magyars se partageraient cette œuvre de ténèbres. Une seule chose soutient encore le défenseur des Tchèques, il lui paraît impossible que cette œuvre s’accomplisse. Au moment d’y mettre la main, on reculera. Déclarer ainsi la guerre à la majorité du pays, mettre l’interdit sur 16 millions d’hommes, repousser des peuples qui veulent aller à vous, sacrifier à plaisir un des plus précieux élémens de la prospérité commune, est-ce possible? Non, ce

  1. Nous donnons des chiffres ronds afin de simplifier. Voici les chiffres exacts, qui ne sauraient être suspects, car nous les empruntons au dernier recensement officiel. C’est par des bureaux allemands que ces tables ont été dressées. Il en résulte que l’Autriche est habitée par 16,005,260 Slaves, 8,407,390 Allemands, 5,305,460 Magyars, 1,824,150 Roumains. Voyez Statistisches Handhuchüchlein der Œsterreichisch-ungarischen Monarchie fur das Jahr 1867. Herausgegeben von den K. K. statistischen Central-Commission. Vienne 1869.