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des divinités voisines, telles que Baal et Moloch, l’adorateur fervent de Jéhovah dut considérer ces dieux immoraux, cruels, hostiles au peuple d’Israël, à peu près du même œil qu’on regarda les démons d’un autre âge. On peut aller plus loin et soupçonner quelques débris d’un dualisme primitif, ou d’une opposition entre deux dieux autrefois rivaux, dans cet être énigmatique, désespoir des exégètes, qui, sous le nom d’Azazel, hante le désert, et à qui, le jour des expiations, le grand-prêtre envoie un bouc sur la tête duquel il a fait passer tous les péchés du peuple. Seulement il faut ajouter qu’aux temps historiques le sens de cette cérémonie semble perdu pour ceux mêmes qui l’accomplissent, et il n’y a en réalité rien de plus opposé à tout dualisme que le point de vue jéhoviste dans sa rigueur absolue. Si nous exceptons les livres de Job, de Zacharie et des Chroniques, tous trois comptant parmi les moins anciens du recueil sacré, il n’est pas dit un mot de Satan dans l’Ancien-Testament, pas même, nous le répétons à dessein parce que presque tout le monde se trompe encore là-dessus malgré l’évidence des textes, pas même dans le livre de la Genèse. Jéhovah, une fois adoré comme le seul dieu réel, n’a point, ne saurait avoir de compétiteur. Il tient dans sa main toutes les forces, tous les ressorts du monde. Rien n’arrive, rien ne se fait sur terre qu’il ne le veuille, et plus d’un auteur hébreu lui attribue directement, sans la moindre réserve, l’inspiration des erreurs ou des fautes que l’on attribuera plus tard à Satan. Jéhovah endurcit ceux qu’il veut endurcir, Jéhovah foudroie ceux qu’il veut foudroyer, et nul n’a le droit de lui en demander compte ; mais, comme on le croit aussi souverainement juste, il est admis que, s’il endurcit le cœur des méchans, c’est pour qu’ils creusent eux- mêmes leur propre tombe, et que, s’il distribue à sa guise les biens et les maux, c’est de manière à récompenser les justes et à châtier les injustes. On ne pouvait pas en rester toujours à cette notion trop commode en théorie et trop souvent démentie par l’expérience ; mais on y resta longtemps, et ce qui le prouve, c’est le genre d’idées religieuses au sein desquelles nous allons enfin voir naître Satan.

Le monothéisme hébreu n’excluait pas la croyance aux esprits célestes, aux fils de Dieu (bené Elohim), aux anges, qui étaient censés entourer comme une milice divine le trône de l’Éternel[1]. Soumis à ses ordres, exécuteurs de ses volontés, ils étaient en

  1. Il n’excluait pas non plus la croyance orientale aux esprits de la nuit, espèce de djinns dont il est question dans Ésaïe et dans Jérémie, et dont le caractère était plutôt malfaisant. Seulement il proscrivait tout ce qui ressemblait à un culte des génies ténébreux. C’est un démon féminin de ce genre qu’Ésaïe nomme Lilith, la nocturne, et qui a servi plus tard de prétexte à une foule de rêveries rabbiniques. On en fit une épouse de Satan et une séductrice d’Adam.