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et économique énorme, car il ne servirait pas seulement à ouvrir une voie plus directe entre l’Inde et l’Occident, il provoquerait, encore la mise en culture de contrées très fertiles, aujourd’hui improductives faute de débouchés. Pour ce qui est de la rapidité du voyage, voici les chiffres donnés par le général Chesney : de Londres à Kurrachee, qui est appelé à devenir le port le plus important de l’Inde, la distance est, par Trieste et la Mer-Rouge, de 5,957 milles ; par l’Euphrate elle est de 4,868, soit de 1,089 milles plus courte. Le voyage exigerait 21 jours dans le premier cas, et 13 seulement dans le second. On trouve des différences semblables pour le trajet de Londres à Bombay ou à Calcutta. Pour une nation qui a trouvé le proverbe time is money, on conçoit combien une pareille économie de temps est précieuse ; mais, si avantageuse que cette nouvelle voie puisse être pour le commerce de l’Inde, elle le sera bien plus encore pour celui des pays qu’elle devra traverser. Contrairement à ce qui a eu lieu en Europe, où les chemins de fer ont suivi la civilisation, le chemin de l’Euphrate la précéderait. Il en a été de même en Amérique, où des voies ferrées, établies d’abord pour mettre en communication deux points éloignés, ont sur tout leur parcours développé la population et donné au commerce et à l’agriculture une impulsion prodigieuse.

Le chemin de l’Euphrate, surtout s’il est un jour prolongé, d’un côté à travers la Perse, de l’autre jusqu’à Constantinople, révolutionnera cette partie de l’Asie, et y fera renaître la prospérité des anciens temps ; car ce qui manque surtout à ces contrées, ce sont les débouchés, et elles ne restent incultes que faute de voies de transport. La Babylonie est encore une des provinces les plus peuplées de la Turquie, mais les neuf dixièmes de ce sol fertile restent en friche ou abandonnés aux troupeaux des tribus nomades. La superficie totale est de 41,000 kilomètres carrés ; si le quart ou 10,000 kilomètres étaient livrés à la charrue, ils pourraient produire plus de 100 millions d’hectolitres de céréales et alimenter une partie de l’Europe. Le sucre, la cannelle, l’indigo, le coton, sont également des produits dont la culture serait très avantageuse, et qui pourraient devenir l’objet d’un commerce important. Les produits européens trouveraient dans cette partie de l’Asie des débouchés nouveaux et un écoulement assuré.

Quand on songe que c’est par des caravanes que se fait aujourd’hui tout le commerce de la Perse vers la Russie et celui de l’Occident vers l’Asie centrale, qu’il passe de cette façon annuellement par Alep près de 200,000 tonnes de marchandises, il n’est pas difficile de comprendre que l’établissement du chemin de l’Euphrate changera complètement les conditions commerciales de cette partie