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jusqu’au bout pour repousser les méchans et venger les outrages. Cette alliance est consacrée par le serment. Voici donc l’ennemi commun (l’Autriche) averti ; mais d’autre part nul n’est affranchi de la subordination et des services qu’il doit à son seigneur. Reconnaître le droit de tous, celui des grands comme celui des petits, c’est la condition essentielle de la liberté. Cependant les premiers confédérés s’émancipent ; ils déclarent dans leur pacte qu’ils n’accepteront plus de juge qui ait acheté sa charge ou qui ne soit pas du pays. Si quelque dissension naît dans leurs vallées, ils prendront des arbitres chez eux, parmi les plus sages ; si l’une des parties repousse le jugement des arbitres, les autres confédérés feront respecter ce jugement. Au meurtrier la mort, à ceux qui lui prêtent secours le bannissement, l’incendiaire sera rayé du nombre des confédérés, ceux qui l’auront accueilli paieront le dommage. Les biens du spoliateur indemniseront la victime ; défense de se faire justice en s’emparant des biens d’un débiteur. Chacun doit obéir à son juge ; ce juge prononcera des sentences auxquelles les confédérés donneront force de loi.

On le voit, ce pacte n’est pas seulement un traité, c’est un code ; les vallées s’affranchissent, même pour les affaires criminelles, de la juridiction des Habsbourgs. Là est la révolte, mais sans violence et sans coups de main. Les premiers confédérés disent tranquillement, après délibération et d’un commun accord : « Ceux-là veulent être nos maîtres parce qu’ils rendent chez nous la justice. Eh bien ! c’est nous qui la rendrons désormais. Nous sommes en âge de liberté, nous voulons sortir de tutelle. Nous nous sommes associés pour affirmer nos droits, et nous avons juré que nous les maintiendrons. » Voilà le véritable serment des trois Suisses. Cela s’est fait sans pompe ; les clairs de lune, les levers de soleil, les regards attendris, les mains levées au ciel, tout ce qu’on a cru devoir ajouter à la scène en gâte la gravité simple et austère. Il n’y a pas de signatures au bas de cet acte vénérable ; qu’importent les hommes et leurs noms ? C’est une grande œuvre collective. Ceux qui ont scellé l’alliance s’appelaient Uri, Schwyz et Unterwalden. Voici leur dernier mot : « tous les engagemens ci-dessus stipulés ont été pris dans l’intérêt commun pour durer, si Dieu le veut, à perpétuité. » Et ils ont tenu parole. Six siècles ont passé sur ce pacte sans rompre l’alliance qu’il a consacrée et sans détruire le parchemin où il fut écrit. Voilà l’exacte vérité ; elle n’a pas besoin d’ornemens pour être belle.

A la mort de l’empereur Rodolphe, il y eut encore des soulèvemens, des brouilles entre l’empire et les Habsbourgs. Les confédérés en pâtirent. Les Schwyzois, gens avisés, bien que hardis, reprirent leur politique, se déclarèrent pour le nouveau souverain, qui leur rendit la liberté (la mouvance directe de l’empire) ; mais le terrain