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tions qu’à les dominer et à les gouverner au moment voulu. Ils se composent habituellement d’hommes honnêtes et agités de toute sorte de perplexités, assez difficiles à vivre selon le mot vulgaire, souvent portés à créer des nuances dans des nuances, — et s’exposant à manquer le coche à l’heure où il passe, lorsqu’il serait le plus utile de se mettre résolument en voyage. Ce qui est certain, ce qui doit frapper tout esprit clairvoyant, c’est qu’à un moment comme celui où nous sommes le meilleur moyen était de subordonner toutes les considérations secondaires à la nécessité souveraine de fonder un gouvernement, de ne pas se diviser, de rassembler en faisceau toutes ces forces qui se sont beaucoup trop disséminées depuis quelques mois. La meilleure politique en un mot, c’était de prendre le coche en faisant monter avec soi la fortune libérale de la France.

Si M. Émile Ollivier n’a pas été suffisamment autorisé à s’assurer le concours des hommes qui passent pour les chefs du centre gauche, il faut qu’on le sache. Si ces hommes distingués ont été sollicités et n’ont pas cru pouvoir accepter une place dans le ministère qui se prépare, ils ont eu leurs motifs, et quels sont ces motifs ? Ce n’est point sans doute une affaire de programmes ; ces programmes du centre gauche, du centre droit, on les connaît, et ils ne diffèrent pas assez sensiblement pour être un insurmontable obstacle a une fusion, sans compter que le meilleur programme est aujourd’hui la constitution d’un pouvoir né de ce souffle libéral qui s’est réveillé en France. Il faut donc qu’il y ait d’autres raisons. Les chefs du centre gauche auraient craint, dit-on, de se trouver sans garanties en face d’une majorité ancienne, fort disloquée, il est vrai, mais qui, à un instant donné, sur un geste, sur quelque imperceptible coup d’œil, pourrait se recomposer en se dérobant devant eux, et ils auraient voulu tout au moins être armés d’une autorisation éventuelle de dissoudre le parlement. Ces considérations pourraient avoir quelque valeur, si on se trouvait dans des circonstances ordinaires, si le régime constitutionnel était en pleine application depuis quelque temps déjà. Aujourd’hui tout est nouveau, et il faut regarder bien moins à l’apparence qu’au fond des choses. En réalité, ce sont les hommes du centre droit et du centre gauche qui ont créé en partie la situation actuelle, qui sont donc naturellement désignés pour la personnifier ensemble, et s’ils étaient entrés aux affaires d’un commun accord, avec résolution, ils auraient eu la mesure de sécurité qu’ils se seraient garantie à eux-mêmes par la fermeté avec laquelle ils auraient manié le pouvoir. Ils n’auraient eu rien à craindre de la majorité parce que personne n’aurait pu songer à la leur disputer ou à la détourner, parce que, si cette majorité ancienne avait tenté de se reconstituer sous un drapeau de réaction, c’est elle cette fois qui serait allée au devant d’une dissolution inévitable. Il y a des momens où il ne faut pas même avoir l’air de se défier, où il faut marcher, en gardant une suffisante vigilance sans doute,