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des ultras de Vienne et se créer par là une popularité facile parmi les « frères allemands » de l’Elbe, du Rhin et de l’Oder ; car, quoi de plus populaire, hélas ! dans la noble Germanie que la guerre faite aux Slaves au nom de la a mission providentielle » et de la civilisation supérieure du Teuton ? Il aurait pu, à l’instar de M. de Schmerling, leurrer la « grande patrie » avec la perspective d’un « empire de 70 millions d’hommes » et devenir l’idole de la démocratie souabe. M. de Beust a dédaigné ces moyens et a mis sous ses pieds les rancunes du passé ; fidèle à la parole donnée dans sa première circulaire comme ministre de François-Joseph, il tient à honneur d’être Autrichien ; il est même plus autrichien que tel docteur cisleithan, car il veut réunir toutes les forces vives de l’empire et donner satisfaction aux divers peuples que la Providence a confiés aux mains des Habsbourgs. Il a inauguré son œuvre par l’accord avec la Hongrie, il veut la couronner par une réconciliation avec les Slaves, et pour atteindre ce but assurément noble et généreux il ne craint pas même les récriminations de ses propres frères allemands… L’opinion éclairée de l’Europe ne peut que tenir compte au chancelier de l’Autriche d’une conduite à la fois si courageuse, si patriotique, si humaine et, dans le vrai sens du mot, libérale. julian klaczko.


REVUE MUSICALE.

Pour les amateurs de lieux-communs, tout est sujet à discourir, et il n’en coûte pas plus de s’extasier à époques fixes sur la prodigieuse longévité du talent de M. Auber qu’il n’en coûte de récriminer à froid sur l’abdication prématurée de Rossini après Guillaume Tell. Donc, à propos de ce Rêve d’amour que vient de représenter l’Opéra-Comique, nous ne parlerons ni des quatre-vingt-huit ans de l’auteur, ni de son imperturbable jeunesse, d’abord parce que ces choses-là traînent les rues, ensuite parce que ce sont des complimens qu’on n’aime pas généralement à s’entendre dire, et M. Auber les goûte moins que personne, témoin l’air peu satisfait de son visage chaque fois qu’aux distributions de prix du Conservatoire il arrive au maréchal Vaillant d’appeler avec un tact particulier toute la vénération des jeunes élèves sur « cette illustre tête, où plus de trois quarts de siècle ont passé sans laisser de trace. »

Il y a vingt ans, la longévité musicale de M. Auber était déjà pour les générations nouvelles un sujet d’émerveillement, et lorsque, après tant d’œuvres délicieuses, il donnait Haydée ; c’était avec raison qu’on applaudissait à cette jeunesse mélodique toujours verte. À dater de Manon Lescaut, un peu de lassitude se fit sentir, surtout chez le public, car pour le maître il ne s’est guère jamais démenti, et vous le