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quelqu’un de vous touchait au reste, nous l’étranglerions tout d’abord. » Hélas ! on a beau s’appeler lion et bien porter sa crinière, on ne peut se passer toutes ses fantaisies. Le vainqueur, sous peine de se mettre sur les bras une méchante affaire avec la France, avait dû respecter la Saxe royale. Ce beau royaume de 2,500,000 habitans, l’un de ces morceaux friands qui mettent en appétit, on s’était vu contraint de le restituer à son propriétaire légitime ; mais on n’entendait à aucun prix s’en dessaisir tout à fait. Pour l’avoir sous la main, il importait de l’incorporer dans une confédération du nord, et comme on ne traite pas un roi de Saxe avec le même sans-gêne qu’un prince de Reuss ou de Waldeck, comme il y faut quelque cérémonie, il était nécessaire que cette confédération eût à peu près l’air d’une confédération. Partant il fallait y mettre des formes, sauver les apparences, étudier l’art d’écrouer les gens avec civilité, écarter avec grand soin tout ce qui pouvait éveiller des idées funestes. Beaucoup de badigeon partout, point de geôlier à la porte, surtout point de grilles ux fenêtres ! Quand on sait s’y prendre, il est aisé de donner à une prison un faux air de palais ; l’essentiel est qu’une fois dedans, personne n’en puisse plus sortir.

Il est bon de se rappeler aussi que, parmi les petits états du nord, plusieurs s’étaient rangés avant ou pendant la guerre du côté de la Prusse, les uns de bonne grâce, les autres à contre-cœur. Nombre de ces nationaux-libéraux, qui en matière de conquêtes sont plus royalistes que le roi, estimaient et déclaraient qu’on ne devait rien à ces petits états, que la reconnaissance n’est pas une vertu royale, qu’au surplus les questions de droit sont infiniment embrouillées, que, lorsqu’on a l’honneur d’être un grand pays, on doit faire de la grande politique, et que la grande politique ne s’arrête pas à des misères, qu’elle a les bras longs et la conscience large comme la manche d’un cordelier. La galerie crut plus d’une fois dans ces discussions reconnaître la voix d’un personnage de la comédie populaire : « Les Saxes sont-elles à nous ? — Elles doivent être à nous. » Tout le monde demeurait d’accord qu’en croquant ces principautés, la Prusse leur ferait beaucoup d’honneur. Je ne sais plus quel homme d’état prétendait que dans la politique étrangère le gouvernement le moins scrupuleux l’est toujours plus que l’opposition la plus honnête. C’est que tout gouvernement est obligé de prendre quelque souci de son crédit et de sa parole ; cette valeur doit avoir cours sur le grand marché européen : il ne peut la laisser déprécier et avilir. Avant la guerre, le cabinet de Berlin avait garanti l’intégrité de leur territoire à tous les souverains allemands qui épouseraient sa cause ou qui du moins observeraient une stricte neutralité ; après la victoire, il n’hésita point à remplir ses engagemens. « Il