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Cicéron, et qu’il lui aurait été impossible de dire si l’orateur était mahométan ou chrétien. C’est surtout aux chaires de l’église établie que s’applique cette épigramme ; mais, bien que les communions dissidentes conservassent des marques moins effacées de leur croyance dogmatique et de leur zèle primitif, gardez-vous bien de croire quelles n’eussent point leur part de la tiédeur universelle. Vers le milieu du siècle, elles manquaient pour la plupart d’hommes capables de leur donner une nouvelle vie et une grande autorité. Dans leurs rangs aussi, un rationalisme, encore chrétien sans doute, mais impropre à réchauffer, à fomenter cette ardeur inséparable jusqu’ici d’une piété efficace et communicative, avait pénétré et fait prévaloir les convictions qui calment l’esprit sur les croyances qui agitent le cœur. On ne craignait plus les persécutions ; mais des exceptions légales obligeaient encore le dissent à des déclarations mensongères, et la consolation de ceux qui s’y voyaient réduits était de se dire que ceux qui les leur imposaient n’étaient pas plus sincères, et que les dignitaires de l’église, en souscrivant aux trente-neuf articles et au credo d’Athanase, avaient grand soin d’en atténuer ou d’en détourner le sens par des restrictions mentales ou des interprétations sophistiques. Ce formalisme qui pesait sur tout le monde sans persuader personne habituait les esprits à la mauvaise foi. On en venait à regarder les symboles orthodoxes comme des choses de style et toute la langue du dogme comme une phraséologie convenue qui, ne rendant pas la pensée, n’engageait pas la conscience. Aussi la discussion entre l’église légale et les églises libres se portait-elle moins sur le fond des dogmes que sur les formules qui étaient censées l’exprimer, et dont la loi et l’usage prescrivaient entre elles l’échange verbal et dérisoire. Or les controverses qui roulent uniquement sur des restrictions insignifiantes apportées à la liberté des consciences, sur le droit commun des différentes sectes, sur la convenance et la justice d’une législation égale pour toutes, sont tout à fait dignes d’un peuple éclairé ; elles sont la preuve heureuse du discrédit du fanatisme et de l’hypocrisie, elles préparent un des plus grands progrès de la raison parmi les hommes ; mais elles sont peu de nature à soutenir, à relever ce sentiment d’inquiétude religieuse qu’on s’accorde à regarder comme le signe nécessaire d’une vie vraiment chrétienne.

Vainement donc on croyait pourvoir aux intérêts de la religion en portant au parlement, le vœu ou la proposition d’affranchir le dissent de toute contrainte, et quand sir William Meredith fit une première motion dans ce sens (1770), elle aurait eu peut-être un meilleur sort, et trois voix contre une ne l’auraient pas repoussée si elle n’avait rencontré que la résistance des représentans officiels