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cessèrent bientôt quand l’injection fut terminée, et l’on vit alors se produire l’ensemble des phénomènes observés dans l’agonie, la pupille se resserra pour se dilater, et le dernier effort de la vie fut une suprême convulsion de tous les muscles de la face.

Devant ce spectacle saisissant, le naturaliste reste sous le coup de la plus puissante des émotions. — Le médecin comprend maintenant la nécessité du contact d’un sang artérialisé avec la matière cérébrale. Il sait pourquoi dans le traitement de la syncope la position déclive est favorable pour amener au cerveau le liquide vivifiant ; il sait qu’en jetant de l’eau sur la face, il agira sur les centres nerveux, ranimera les mouvemens du cœur, et fera circuler le liquide sanguin dans la masse cérébrale. — Le philosophe se pose une de ces questions vieilles comme le monde et plus que jamais à l’ordre du jour depuis les discussions passionnées de Barthez et de Cabanis. La matière organisée engendre-t-elle ou non les phénomènes qu’elle manifeste ? Grave problème que M. Cl. Bernard, dans son admirable Rapport sur les progrès de la physiologie, nous paraît avoir résolu. Pour ce savant, le cerveau de l’animal soumis à l’expérience de la transfusion fonctionne comme un mécanisme complexe auquel on restitue le sang qui lui appartient : l’organe cérébral n’est que l’instrument de l’intelligence, et la machine humaine marque la vie comme l’horloge marque le temps.

Une dissection physiologique, comme celle qu’opère en quelque sorte la transfusion du sang sur les tissus glandulaires, musculaires et nerveux, si complète qu’elle soit, n’a de valeur que si l’on réunit les résultats de l’analyse ; le morcellement expérimental du corps humain doit aboutir à reconstituer l’ensemble. C’est ainsi qu’on procède dans les sciences physiques. Le faisceau incolore de lumière blanche est décomposé à travers le prisme « comme il l’est sur les gouttes d’eau qui forment l’arc-en-ciel, » et, après avoir traversé le verre, il s’épanouit en un merveilleux assemblage de rayons colorés. On étudie chaque rayon dans ses propriétés calorifiques, chimiques, lumineuses ; puis, quand l’œuvre d’analyse est terminée, un prisme nouveau placé en sens inverse fait converger tous ces rayons, et le faisceau de lumière incolore est reformé. Il en est de même de l’organisme et de ses parties constituantes. Les vies particulières des glandes, des muscles, des nerfs, du cerveau, se démontrent à l’aide de la transfusion locale, et la synthèse de l’être vivant se réalise d’elle-même avec la transfusion générale. Le sang qui arrive au cœur est distribué dans toutes les parties du corps, il n’est plus limité artificiellement à un territoire déterminé : aussi les vies partielles des tissus et des organes se raniment-elles simultanément, et la vie de l’individu devient pour nous une admirable unité collective.