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de ces deux hommes fait assurément du persécuté de Cucuse un des personnages les plus grands et les plus saints qui aient occupé la scène du monde.

Nous avons trop souvent parlé d’Olympias dans le cours de ces récits pour avoir besoin de la faire connaître ; nous nous bornerons donc à redire que, issue de la plus illustre maison et réputée la plus riche héritière de l’Orient, elle avait épousé, toute jeune encore, un homme qu’elle aimait et qu’elle perdit au bout de six mois ; que, résolue dès lors à rester dans le veuvage, elle eut à lutter contre les persécutions de Théodose, qui voulait la remarier à son gré, et mit le séquestre sur ses biens. Échappée à ce double danger par son courage inébranlable, Olympias entra dans l’église de Constantinople comme diaconesse, et consacra au service de la profession de son choix son argent, son crédit dans le monde et toutes les ressources d’un esprit et d’un savoir éminens. Nectaire, homme du monde lui-même et digne appréciateur des mérites d’Olympias, l’avait prise pour conseillère ; Chrysostome la prit pour conseillère et pour amie. Elle coulait des jours heureux entre les pauvres et le sanctuaire, fière d’être attachée à un si grand homme qu’elle regardait comme un père et comme un maître, lorsque la révolution suscitée par les mauvaises passions d’Eudoxie vint tout bouleverser, jeter le schisme dans l’église, envoyer Chrysostome en exil et disperser son troupeau fidèle. Olympias ne fut pas la dernière, ainsi qu’on l’a vu, à ressentir pour elle-même les conséquences de la persécution.

Elle avait alors trente-six ans, et les traces de cette beauté fameuse chez les historiens du temps n’avaient point encore disparu sans doute, malgré les austérités et les privations dans lesquelles elle usait son corps. Le spectacle de la tempête qui venait fondre sur tout ce qu’elle respectait et aimait la frappa d’étonnement en même temps que de douleur. Elle ne put voir le renversement de tous les principes, le supplice des bons, la victoire des méchans, le triomphe de la calomnie sur l’innocence, la profanation du sanctuaire laissée impunie par la justice divine, sans que sa foi naïve en fût ébranlée. Elle se demanda s’il y avait une providence qui réglât les choses de la terre, ou si Dieu n’avait pas abandonné son église, quand elle vit les sycophantes étaler insolemment leur luxe et leur prospérité, tandis que le nom de celui que la chrétienté tout entière eût dû bénir était anathématisé dans sa propre basilique. Elle lutta en vain par la prière contre ces doutes qui l’effrayaient, suppliant Dieu de montrer sa justice pour soutenir la foi de ses enfans. Ces orages de l’âme anéantirent presque sa raison. Elle tomba dans un accablement moral d’où elle ne sortait que par quelque