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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


crise violente qui la rejetait sur la scène des événemens, comme son accusation pour crime d’incendie et son interrogatoire par le préfet, ou lorsqu’elle recevait de Chrysostome quelque recommandation de travailler pour ses amis ou pour lui. Les livres saints mêmes, autrefois sa lecture assidue, n’étaient plus une consolation pour elle. « Je n’entendrai plus, disait-elle, la parole de Dieu descendre de ces lèvres d’or, ses plus dignes interprètes. » Sa santé ne résista point à ce désordre intérieur ; une fièvre continue s’empara d’elle, puis le dégoût de toute nourriture et de tout mouvement. Bientôt elle ne quitta plus son lit, où une ardente insomnie la tenait enchaînée, et, quand elle le quittait, c’était pour se prosterner à terre et pleurer ; en un mot, tout défaillait en elle, l’âme et le corps.

Le mal qui consumait Olympias était connu de la Grèce païenne, qui l’appela mélancolie ; ses grands médecins l’attribuèrent à une corruption des humeurs et cherchèrent des remèdes physiques pour le combattre. Les sociétés chez lesquelles l’idée religieuse était développée avec exaltation le connurent aussi, et plus encore. Les Juifs le considérèrent comme une maladie de l’âme, un châtiment de Dieu plus terrible que la mort. Jéhovah, dans le Deutéronome, après avoir énuméré tous les fléaux dont il menaçait les Hébreux, s’ils lui devenaient infidèles, et parmi ces fléaux la servitude, la contagion, les plaies hideuses, la famine, qui forcerait les mères à manger leurs enfans, ajoute, comme le couronnement de toutes les misères : « Je donnerai à ce peuple un cœur flétri par le chagrin, des yeux abattus et languissans, une âme consumée de douleur. » Les prophètes de l’ancienne loi éprouvèrent plus d’une fois les atteintes de ce mal redoutable en voyant Israël, sourd à leurs leçons, persévérer dans le crime. Élie, dompté par lui dans les cavernes du Carmel, s’écriait avec angoisse : « Mon Dieu, reprends mon âme, je te la rends. » Et un autre prophète ajoutait : « Reprends-la, car mieux vaut mourir que vivre ainsi. » Sous l’empire de la nouvelle loi, ce mal s’appela tristesse et ne sévit pas avec moins de force. Jésus, qui voulut parcourir l’échelle de toutes les souffrances humaines, éprouvait celle-ci quand il disait, tout baigné de larmes : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. » Le christianisme, si occupé de la médecine spirituelle, trouva des remèdes moraux à une affection qu’il regardait comme toute morale ; mais la tristesse n’en régna pas moins parmi les fidèles, attaquant de préférence les âmes tendres et ombrageuses. Elle vécut dans la solitude avec les ermites, dans les cloîtres avec les recluses. Enfin la société civile ne devait pas plus l’ignorer que la société religieuse : on la voit paraître au lendemain des grandes catastrophes, des grandes passions, des grandes espérances déçues.