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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

se résignaient à souffrir les maux qu’ils ne pouvaient pas empêcher. Agricola, dont il fait l’éloge, n’était pas seulement son beau-père ; c’était un héros selon son cœur, patient, modéré, ennemi des provocations et des forfanteries, qui ne courait pas au-devant des dangers et ne cherchait pas à s’attirer les colères du pouvoir. Cet homme si actif, si résolu devant l’ennemi, savait se taire et se cacher à Rome quand les circonstances le demandaient. Il se prêta plus d’une fois de bonne grâce aux exigences de Domitien ; à son retour de Bretagne, il consentit à le remercier d’une injustice qu’il en avait reçue pour ne pas l’irriter davantage, et il lui laissa en mourant une partie de sa fortune, comme à son meilleur ami. Tacite l’approuve sans réserve, et il combat par son exemple les partisans des oppositions radicales et des résistances aventureuses. « Que tous les exagérés, dit-il, avec une vivacité qui sent la contradiction et la lutte, que les admirateurs de tout ce qui brave le pouvoir apprennent que, même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes, et que la modération et l’obéissance, si le talent et la vigueur les accompagnent, méritent autant de gloire que cette témérité qui se précipite au hasard, sans profit pour la république, et court après l’honneur d’une mort qui fasse du bruit. » Ces opinions que Tacite exprimait si résolument dans un de ses premiers ouvrages, il les garda jusqu’à la fin de sa vie. Il fut toujours de ceux qui accusaient les philosophes de mettre dans leur opposition trop d’entêtement et de vanité. Sénèque est une de ses antipathies. Thraséa n’échappe pas tout à fait à ses reproches, et il se moque gaîment du bon Musonius Rufus, qui avait eu l’imprudence de venir faire une leçon sur les biens de la paix à deux armées qui allaient se battre, et qui fut forcé pour se sauver « de laisser là au plus tôt sa morale intempestive. » Pour lui, ses visées sont moins hautes, et le rôle qu’il ambitionne est plus modeste. « Tâchons, dit-il, de trouver entre la résistance qui se perd et la servilité qui se déshonore une route exempte à la fois de bassesse et de danger. » Il est impossible d’être plus éloigné des sentiments d’un révolutionnaire.

Ces exemples suffisent, je crois, à prouver que l’opposition à Rome n’était pas républicaine. La république y fut très vite oubliée ; ses derniers excès avaient fatigué tout le monde, elle ne laissa pas de regrets. Les honnêtes gens qui se firent tuer pour elle à Philippes étaient les seuls partisans sincères qui lui restaient. Les autres s’accommodèrent facilement d’un maître ; ils aimaient les plaisirs et le repos, ils savaient que, suivant le mot de Sénèque, la liberté se fait payer cher, non gratis constat libertas ; ils se gardèrent bien de la réclamer. Tous ceux qui conspirèrent contre Auguste et contre ses successeurs étaient des ambitieux qui voulaient leur place. Seul, le