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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


corps de boue, de ce peu de terre, de ce qui tombe sous les sens ? — Oui, répond-il, je ne m’en défends pas, je n’en rougis pas, je m’en glorifie plutôt, car c’est la charité, mère de tous les biens, qui déborde ainsi de mon âme. — La présence corporelle de ses enfans ne suffit pas même à son désir, il faut surtout qu’il contemple leur visage. « Nous désirons ardemment revoir votre visage. » Quelle étrange envie, je vous le demande ! Quoi ! bien réellement vous désirez revoir leur visage ? — Et beaucoup, répond-il, car c’est là que se manifeste la personne. Une âme liée d’affection à une autre âme ne sait rien exprimer, rien entendre par elle-même : par la présence corporelle, je puis entendre ceux qui me sont chers, et je puis leur parler. Voilà pourquoi je désire contempler votre visage : là est la langue interprète de nos pensées, l’oreille qui vous portera mes discours, les yeux où se peignent les plus intimes mouvemens du cœur. C’est ainsi seulement qu’il nous est permis de converser pleinement avec une âme bien-aimée.

« Persuadez-vous bien, Olympias, que vous me reverrez, et que vous serez affranchie de cette séparation qui aura même produit pour vous des fruits de miséricorde. Montrez-moi votre affection en accordant à mes lettres le même pouvoir qu’à ma parole, et vous me l’aurez montré avec certitude, si j’apprends que ces lettres vous ont fait tout le bien que je désire, et quel bien ? c’est que votre âme rentre dans le calme et la joie dont vous jouissiez quand j’étais près de vous ; ce sera pour moi une grande consolation dans l’affreuse solitude qui m’entoure. Si vous avez à cœur de m’inspirer un peu plus de courage (or je sais que c’est là votre vœu le plus cher), faites-moi savoir que vous avez dissipé tous vos chagrins. C’est ainsi que vous paierez de retour mon dévoûment et mon amitié. Vous n’ignorez pas, vous savez, à n’en pas douter, le bien que vous me ferez, et à quel point mon cœur sera réconforté, si je reçois par vos lettres la certitude que votre tristesse s’est évanouie. »

Sous l’empire de ces douces et fermes consolations, l’âme d’Olympias se rasséréna, pour quelque temps du moins ; elle voulut vivre et revint à la vie. Nous la verrons reparaître plus tard, et dans des circonstances plus douloureuses encore, car la source de ses larmes ne devait pas tarir.

III.

Cependant les lettres se multipliaient, et les visites affluaient de toutes les parties de l’Orient à Cucuse. Les provinces limitrophes de l’Arménie envoyaient nombre de visiteurs qui se hasardaient dans la montagne dès que les chemins paraissaient libres. On y voyait des laïques à qui il était indifférent de déplaire aux gouver-