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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


lade. Un autre Philippe, de la même église, fut envoyé dans le Pont et y mourut. Elladius, aumônier du palais impérial, fut relégué en Bithynie, le prêtre Salluste fut déporté en Crète, l’aide-économe de l’archevêché, Paulus, chassé jusqu’en Afrique. Heureux ceux qui, comme le prêtre Étienne, relégué en Arabie, étaient enlevés par des brigands du Taurus et retrouvaient du moins une sorte de liberté dans cette sauvage servitude. Des femmes aussi étaient traitées en criminelles d’état, emprisonnées, mises à la torture, chassées, et leurs monastères dissous. Telles étaient les nouvelles d’Asie qui attendaient Chrysostome à son retour d’Arabissus.

Ces atrocités avaient eu pourtant, à Constantinople particulièrement, un contre-coup favorable parmi les laïques. La tyrannie, quand elle s’applique à la conscience, provoque toujours les oppositions généreuses. Beaucoup de gens du monde fort tièdes jusqu’alors dans leurs pratiques, et que ne semblait pas dévorer le zèle des luttes religieuses, furent indignés de la manière dont on s’y prenait pour convertir les joannites, et sympathisèrent avec eux. Cette sainte colère, mêlée d’abord d’un peu de curiosité, les conduisit aux réunions du désert ; ils bravèrent les soldats, ils bravèrent ensuite les juges, et se firent joannites pour tout de bon. Les lettres que reçut Jean Chrysostome donnaient des détails sur ces conversions de hasard, produites par la persécution. Un fait si honorable pour l’espèce humaine lui inspira même l’idée d’un livre qu’il espérait faire parvenir plus tard à ces athlètes volontaires, à ces hommes du monde devenus saints par la vertu de l’indignation, et qu’il ne craint pas d’appeler des martyrs. « On ne saurait, dit-il à ce propos, refuser le titre de martyrs à des hommes qui non-seulement ne cèdent pas aux injures, aux outrages, aux calomnies, ce qui est déjà quelque chose, mais qui envisagent sans effroi des menaces terribles, la puissance de l’empereur, le regard d’un juge irrité et l’aspect des tortures ; à ceux en un mot qui sont préparés à tout plutôt que d’entrer dans la communion de scélérats entassant crimes sur crimes. De tels martyrs, qui scellent de leurs tourmens la discipline de l’église, consolent cette sainte mère des lâches, si nombreux qu’ils soient, qui la renient. Un seul homme qui fait la volonté de Dieu vaut mieux que dix mille qui la trahissent. » Il ajoute, comme un encouragement aux fidèles, ces remarquables paroles : « Si l’évêque n’est point au milieu de son peuple pour le conduire, que les brebis fassent elles-mêmes l’office de pasteur. Les timides qui en prennent prétexte pour s’abstenir des réunions manquent à un devoir de foi. Est-ce que Daniel et les Juifs captifs à Babylone avaient besoin d’un autel, d’un temple, d’un pontife, pour observer la loi de Dieu ? » Un tel langage, arrivant du désert de