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Marie, Sophie, qui rit ou rougit quand il les regarde comme font les jeunes gens? Je voudrais donc qu’on lui dît que je paraissais âgée déjà, quoique bien jeune. N’ai-je pas l’air,... dites-moi, s’il y a quelqu’un pour me répondre, n’ai-je pas bien l’air d’avoir vingt ans? Me prendrait-on pour une de ces jeunes filles qui sont embarrassées quand elles voient rire les garçons? Ne ressemblé-je pas plutôt à la Vierge dans sa niche, au coin de notre rue? L’enfant Jésus qu’elle avait sur ses genoux était tombé; c’était une pauvre Vierge de faïence blanche qui faisait pitié. Je lui offrais toujours mon bouquet de préférence à toutes les autres qui étaient plus belles. »


Auprès de cette victime de dix-sept ans qui dit adieu à la vie, mesurez la portée immense du mensonge dans les choses humaines: une innocente enfant est recueillie dans la boue; elle est élevée sous un faux nom; le père, qui la reconnaît aux yeux de la société, la mère, qui l’entoure de ses tendresses, la fortune qui lui est promise, la dot de vertus, de respect, dont elle est décorée, le mariage qui garantit son avenir et consacre son existence, autant de faussetés, autant de causes de ruine, de misères insurmontables, dont on prétend lui faire un édifice de bonheur. Le mal est à la racine de toutes ces joies trompeuses : suivant la logique inévitable de la loi morale, elle doit succomber. Un époux se présente, elle est mariée, et c’est là précisément ce qui la perd sans remède. Quelles que soient l’avarice et la perfidie de Franceschini, il a le droit de dire aux Comparini qu’ils en ont menti, que cette fille qui lui a été donnée n’est pas celle qu’il a demandée, que c’est une aventurière sans argent, dénués même du patrimoine d’honneur, de sainteté dont les dernières filles du peuple sont revêtues au sanctuaire de la famille, que son mariage n’a été que fourberie et dérision. Il aurait fallu à la pauvre Pompilia un homme de générosité et de courage ; mais avait-elle le droit de l’espérer?

Et cependant la malheureuse fille, après une vie semblable à un enfer, expie sous le poignard un mensonge dont elle n’est pas l’auteur ni même la complice. Le drame est là tout entier : il n’y a pas de drame sans fatalité, et la fatalité n’est pas autre chose ici que le mal qui doit être expié; seulement le grand, le suprême devoir du poète est d’établir la balance finale, et de faire sortir de l’expiation même la douceur qui la console. Il y a pour l’âme humaine des agonies qui valant mieux que des bonheurs criminels : Pompilia est douce envers la mort, et sa dernière heure est comme un avant-goût d’éternité. La malheureuse enfant, à qui désormais ses parens adoptifs et son époux ne sont rien, se détache aisément de la vie; elle ne se trouve plus qu’entre son enfant, qu’elle n’a vu qu’une