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fois, et sa mère véritable, qu’elle n’a jamais connue. Nous venons de citer quelques mots des adieux et des souvenirs qu’elle laisse au premier ; voici comment sa pensée se reporte vers la seconde :


« Ils ont dit que je tenais de ma mère, ma mère réelle que je n’ai pas connue. Elle a fait le mal (s’il est vrai que cela ne peut être autrement) parce qu’elle a été toute sa vie, non pas quatre ans comme moi, à la merci d’hommes odieux. Tous les animaux de la plaine ont renversé la barrière qui protégeait la source pure; ils ont si bien piétiné dans le cristal de cette eau qu’ils en ont fait une boue dans laquelle le ciel ne pouvait plus refléter son image. Et maintenant ils crient : — Maudite soit la femme qui a légué à celle-ci sa fange et son amertume!

« C’est bien; puisqu’elle devait supporter cette flétrissure, j’en prends ma part. Aujourd’hui je comprends mieux ma mère, grâce à l’expérience que j’ai faite de ce que la haine appelle amour. Il y avait peut-être beaucoup d’amour dans ce qu’ils appelaient de la haine. Si elle m’a vendue, comme ils le disent, moi son enfant, son pauvre cœur espérait que je pourrais du moins essayer d’être bonne et pure, commencer la vie sans recevoir d’atteinte, ni être condamnée et perdue avant d’avoir péché comme elle. ma mère, cela devait-il se terminer ainsi? Pourquoi voudrais-je me confier à ceux qui disent du mal de vous, puisque je me défie de quiconque dit de ceux-là du bien? Puisque tous ceux qui me devaient faire du bien m’ont fait du mal, pourquoi n’auriez-vous pas eu l’intention de me sauver, d’élever votre enfant loin de l’arbre maudit duquel chaque passant arrachait sa branche, sans permettre au pauvre fruit d’arriver à sa maturité? Voilà donc pourquoi vous avez sacrifié votre enfant? En livrant l’unique espérance de votre cœur, voilà ce que vous avez gagné? Qui sait? j’aurais peut-être aussi sacrifié le mien, tout en l’aimant comme vous m’avez aimé, s’il avait fallu... mais non, c’est la seule chose que personne n’eût osé me demander.

« Assez de plaintes! J’ai ma consolation; je sais que mon enfant était à moi, qu’il est encore, qu’il sera toujours à moi seule. En mourant, je le lègue à Dieu sans inquiétude. Il n’a pas un parent dans le monde, mais il n’en sera que plus en sûreté. Pourquoi m’affliger? quelle tutelle serait plus sûre ? Tous les plans, tous les desseins de l’homme aboutissent au néant : ma vie et ce que je connais de la vie des autres le prouvent. Point de projets, point d’arrangemens! qu’il soit à la garde de Dieu. »


Nous avons dit que Pompilia n’a de pensées que pour sa mère et pour son fils : cela n’est pas rigoureusement vrai ; elle était accusée d’aimer Caponsacchi, celui qui l’a sauvée. Le poète n’était pas maître d’ôter toute trace de ce sentiment; le soupçon de cet amour était acquis au procès qu’il s’est efforcé de suivre fidèlement, et le