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tations ? On ne saurait certainement nier l’influence calmante qu’a pu exercer depuis six mois sur les agitateurs la conviction qu’ils rencontreraient devant eux une armée obéissante et fidèle, aussi résolue que modérée. Ce n’est pas tout cependant ; la vraie raison de cette pacification relative des esprits, c’est qu’il y a une politique faite pour désintéresser le pays dans ses vœux légitimes, ne marchandant ni les garanties ni les conditions d’un régime sérieusement libéral, et tenant avec une évidente sincérité ce qu’elle a promis, La bonne volonté a ranimé quelque confiance dans la masse du public, qui n’a aucun parti-pris, et elle a par cela même réduit à l’isolement les passions insurrectionnelles.

En réalité, le ministère s’est affermi de ce côté, il a désarmé jusqu’à un certain point, pour le moment, les organisateurs d’agitations ; mais cela ne suffit pas, ce n’est pas assez que le ministère ait triomphé de ces premières crises, ou qu’il gagne quelques batailles de parlement : il faut qu’il dure et que les raisons qui l’ont fait naître gardent assez de puissance pour le faire vivre ; il faut, en d’autres termes, que cette situation dont il est l’expression ait le temps de se régulariser et d’acquérir toute la consistance d’un fait irrévocable et normal. Les hommes distingués qui ont pris la direction des affaires au 2 janvier, M. Daru, M. Buffet, M. Segris, M. de Talhouët, aussi bien que M. Émile Ollivier, doivent se dire que nous ne sommes pas dans des circonstances ordinaires, qu’une transition comme celle qui s’accomplit ne peut être interrompue sans péril, et qu’en acceptant le pouvoir dans ces conditions ils se sont imposé l’obligation de conduire leur œuvre jusqu’au bout. Ils se doivent à eux-mêmes, ils doivent au pays de ne pas s’arrêter en chemin. Assurément on ne négligera rien pour les diviser, pour susciter entre eux des ombrages et des méfiances. On s’efforcera de mettre M. Émile Ollivier en garde contre ses collègues, et on cherchera à séparer M. Daru, M. Buffet, de M. Émile Ollivier. On fera naître des occasions de dissidences, on provoquera des incidens ; on est déjà en campagne. C’eût été une grande simplicité de ne pas s’y attendre, ce serait de la part du cabinet une singulière faiblesse de se laisser atteindre par ce travail de dissolution qui se poursuit autour de tous les pouvoirs. Qu’importe que tous les ministres du 2 janvier aient des origines diverses et des nuances d’opinions différentes dans certains détails d’administration ou de politique ? Ils ont été portés ensemble aux affaires par une même pensée, ils doivent y rester ensemble et mettre en commun leurs efforts pour assurer la fondation du régime constitutionnel. C’est là leur vraie responsabilité. Tout doit être subordonné aujourd’hui à cette considération souveraine et patriotique.

L’essentiel est de maintenir l’accord qui s’est établi et d’agir. On ne peut pas dire du reste que le ministère s’endorme dans une oisive quié-