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Le Niagara a donné son nom à une cité d’hôtels, de bazars et de lieux de plaisir, Niagara Falls, qui se trouve dans le voisinage immédiat de la chute. C’est une coquette petite ville avec de vastes hôtels tout neufs et bien tenus ; pendant la belle saison, le monde élégant des états du nord s’y donne rendez-vous. Niagara présente alors un spectacle semblable à celui des villes d’eaux de l’Allemagne. A la fin du mois de mai, lors de mon passage, il y régnait encore une température inclémente ; le froid était piquant ; le soir venu, il fallait allumer de grands feux dans les poêles et les cheminées, et l’hôtel de la Cataracte, où j’étais descendu, était presque entièrement désert.

L’aspect des chutes du Niagara a été souvent décrit. L’impression qu’elles firent sur nous fut au premier coup d’œil assez faible. L’âme a besoin de se recueillir avant d’être en état d’apprécier le grand et le beau. Plusieurs auditions sont nécessaires à l’intelligence d’une grande œuvre musicale, et il faut s’y prendre à plusieurs fois pour s’élever jusqu’à la compréhension d’un des plus magnifiques spectacles de la nature. Lorsque l’esprit s’est accoutumé à cette nouveauté, il reste sous l’empire d’un charme ineffable ; mais pour la foule des curieux la lumière ne se fait jamais. « C’est singulier, disent-ils tout désappointés ; je m’étais imaginé autre chose. » On les amènerait devant des chutes cent fois plus imposantes que celles du Niagara que leur désappointement se manifesterait de même ; ils ont des yeux pour ne point voir. Ils ne manquent pas pourtant de faire emplette des photographies de la cataracte, et à force de les montrer à d’autres, d’en vanter la magnificence et de les décrire, ils finissent par se convaincre qu’ils ont, eux aussi, admiré la merveille. Mon expérience des touristes, qui commence à être assez étendue, me porte à croire que le don de pouvoir jouir des beautés de la nature est infiniment plus rare qu’on ne pense.

Nous coupâmes en deux le trajet de Niagara à New-York en faisant halte à Elmira, jolie ville de 18 à 20,000 habitans, située au point de jonction de plusieurs voies ferrées. Je rencontrai là F. H…, un de mes amis du Japon. Il me conduisit dans la soirée à un concert où je fus frappé autant du nombre que de la variété des brillantes toilettes. Dans plus d’un de nos chefs-lieux de préfecture d’une égale importance, il aurait été impossible, je crois, de réunir le quart d’assistans si riches et si élégans. Cette richesse générale, qui s’observe dans presque tous les centres américains, est un des bienfaits du principe politique de la décentralisation. F. H… me présenta à plusieurs personnes de sa connaissance ; partout on me fit l’accueil le plus cordial. L’hospitalité américaine, — j’ai eu