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saint-père, dans sa lettre d’invitation, leur demandait de « reconnaître quelle influence fâcheuse exerce sur la société la discorde née de l’antagonisme des principes religieux, » et leur rappelait « les révoltes déplorables, les désordres et les troubles dont le fléau a visité les peuples schismatiques. » L’argument parut faible à la libre Angleterre et à la grande république américaine ; il ne fut pas considéré comme beaucoup plus fort par l’Allemagne protestante, surtout au lendemain de la révolution de la dévote Espagne.

Le refus des Grecs et des protestans les mettait en dehors de la préparation du concile, du moins au point de vue religieux ; néanmoins leurs gouvernemens auraient pu se croire politiquement intéressés à s’en préoccuper. Ils ont pensé avec raison qu’il valait mieux attendre l’événement. La Russie, qui a mérité l’indignation du monde en persécutant les catholiques de Pologne, n’a pas même d’ambassadeur à Rome. L’Angleterre n’y a pas de ministre officiellement reconnu, bien qu’elle y soit représentée par un spirituel diplomate, M. Odo Russell, qui connaît mieux que personne les choses romaines. La Prusse est obligée d’y avoir une ambassade à cause des provinces rhénanes ; mais sa seule démarche à l’égard du concile a été d’envoyer un très beau tapis pour la salle des séances, aimable attention qui ne l’engage nullement à s’y agenouiller pour faire l’obédience. Les États-Unis d’Amérique ont une légation à Rome, mais je les soupçonne d’en faire un poste de plaisance et de repos pour leurs hommes d’état fatigués. Quelles affaires peut avoir auprès de la papauté le pays classique de la séparation de l’église et de l’état ? Il n’en est pas de même de l’Autriche, de l’Espagne, de l’Italie et de la France, puisque la majorité de leur population appartient au catholicisme. Cependant aucune de ces grandes puissances n’a voulu être représentée au concile ; le royaume italien et l’Espagne avaient d’excellentes raisons pour ne pas braver de trop près les foudres pontificales dirigées contre les détenteurs des biens de l’église. Quant à l’Autriche, elle avait assez à faire de dénouer les liens du concordat, qui a failli lui coûter l’existence nationale. La France, après quelques tergiversations, a jugé opportun de décliner toute responsabilité dans un concile où elle ne pourrait rien empêcher, et où il lui serait désagréable d’assister, dans la personne de son ambassadeur, à la condamnation de son droit public. Comme l’a très bien fait remarquer M. Émile Ollivier dans son discours du 8 juillet 1868 sur l’assemblée du Vatican, cette abstention des pouvoirs civils marque le progrès des temps et l’invincible courant qui porte à la séparation des deux pouvoirs.

Non-seulement les états catholiques ne se sont pas fait représenter au concile, mais ils ont évité avec soin de peser sur lui d’aucune