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de la maison. Malheur à leur race ! Elle sera comme un feu allumé à la base de ce tronc et en consumera les branches vertes. Elle grandit, solitaire et farouche, dans la famille ennemie. « Je marchais au milieu de ces hommes comme dans le crépuscule des forêts gigantesques dont les cimes chuchotent entre elles tandis qu’en bas règne un silence de mort. J’errais inquiète parmi les troncs nus, cherchant une issue et ne la trouvant pas. » Les femmes la craignent et la noircissent à l’envi. « La folle flamme des sens, dit la vieille Hallgerde, comme une lave souterraine, brûle en elle et fait pétiller de volupté hardie chaque goutte de son sang. » Cependant les fils d’Aslak sont tous épris de cette fière beauté et se la disputent brutalement. Elle les hait tous à mort, mais pour se délivrer de leurs obsessions elle épouse le plus fort, Gudleik. Quelque temps après, elle rencontre Eiolf Finson, chef des armées du roi de Norvège. Alors cette âme impétueuse si longtemps comprimée s’élance vers lui, toute brûlante dans un regard qui le fixe sur place. « Est-ce notre faute, dit-elle plus tard, qu’à notre premier regard près de l’église, là-bas, nous pâlîmes violemment tous les deux ? » Dès cet instant, ils s’appartiennent sans savoir qui a séduit l’autre, et bientôt sont rivés ensemble par toutes les ivresses de la passion. Pendant les heures d’attente, elle croit le voir devant elle dans la salle sombre. « Tu abaisses puissamment ton regard sur moi. Le front que je couvrais de baisers se penche vers moi plein de félicité et de bonheur, et tous les nuages s’envolent loin, loin, et ma poitrine est libre. Je te vois, Eiolf, je vois tes boucles hardies qui roulent follement entrelacées sur ta nuque. Je vois aussi ton bras, ton fort bras de héros ; souvent il porte la mort, mais pour moi il n’a que des caresses et me berce doucement ! » Pourtant elle est encore la femme de Gudleik, l’esclave d’un Aslak ; elle excite son amant à le provoquer ; Eiolf se bat avec Gudleik et le tue. Ici commence la tragédie. Eiolf suivra-t-il Houlda dans la voie sanglante où elle l’entraîne ? ira-t-il s’exiler avec elle en Islande après avoir exterminé la famille ennemie ? La passion l’y pousse, mais une vague anxiété, peut-être aussi la gloire, le retiennent. Ce qui le trouble par-dessus tout, c’est un souvenir d’enfance, une jeune fille de la suite de la reine qui semble vouloir l’arracher à sa destinée. Houlda s’en doute. « Ton regard est double, dit-elle ; qui le rend équivoque ? » Mais près d’elle il retombe sous le charme. C’est une fascination mêlée de terreur :


« EIOLF. — O sombre magicienne ! à peine te vois-je, aussitôt le château royal s’enfonce sous terre derrière moi, le rocher s’entr’ouvre, engloutissant armes et flambeaux, le dernier couple de danseurs disparaît en me faisant signe de la main, les molles harmonies de la harpe