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se taisent, les dernières voix de la fête ne sont plus que des plaintes dans la nuit, le page hardi qui présentait la coupe d’hydromel recule effaré ! Le cercle des convives, les voix tentatrices des femmes, tout fuit, tout s’éteint. Le manteau de l’évêque s’envole, et, Dieu me pardonne, avec lui toutes ses paroles. Que veux-tu, femme ? Regarde, je suis là. Que veux-tu de plus ? Gudleik a déjà disparu.

«…. HOULDA. — Écoute-moi, mon Eiolf, ton cœur est-il vraiment profond et grand ? Dis ! ou crois-tu que le torrent qui gronde entre les roches est plus profond encore ?

« EIOLF, la pressant doucement. — Tais-toi, Houlda !

« HOULDA. — Non, non ! ton cœur est plus vaste pourtant, il dépasse mes plus hautes pensées, il est si profond que je puis m’y abîmer. Je serai heureuse, n’est-ce pas ?

« EIOLF. — Oui, Houlda, oui ! Que vaudrait mon courage, s’il ne pouvait te conquérir une vie splendide ?

« HOULDA, l’enlaçant. — Je te crois et me cramponne à toi. Pourvu que Dieu te protège devant la race des Aslak…

« EIOLF, montrant son cœur. — Ils n’ont pas la force de porter la mort jusqu’ici.

« HOULDA. — Quand je jette mes bras autour de toi, je les défie, je les menace !

« EIOLF. — Notre meilleure défense, c’est mon épée.

« HOULDA. — Te fies-tu plus à elle qu’à moi ? Alors, Eiolf, tu te trompes.

« EIOLF. — Étroitement unis, nous pénétrerons jusqu’au bonheur !

« HOULDA, insinuante. — Le bonheur est craintif, il faut le guetter pour le saisir.

« EIOLF, doucement. — Eh bien !… A travers les ténèbres… glissons-nous vers lui.

« HOULDA, De même. — Montre-moi le chemin, et sans bruit je te suivrai.

« EIOLF, toujours a voix basse. — Il n’est pas loin,… il me semble que je le vois.

« HODLDA. — Ton regard étincelle… Sais-tu qu’il éblouit ?

« EIOLF. — La nuit couvre la retraite où dort la félicité.

« HOULDA. — Ta main tremble… Te fait-elle peur, cette félicité ?

« EIOLF. — Si sombre est sa magie, que j’ose à peine la saisir.

« HOULDA. — Courage ! je la vois aussi.

« EIOLF, violemment. — Toi aussi ? (A voix basse.) Eh bien ! soit, n’hésitons plus.

« HODLDA. — Viens donc !

« EIOLF. — Oui, viens !

« HOULDA, élevant subitement la voix. — Mon chemin traverse les mers, il mène en Islande.

« EIOLF, reculant effrayé. — En Islande ? Comment ?