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Parisiens une action fort blâmable ; mais les laisser payer par l’administration leur paraît souvent chose toute naturelle, et leur conscience trop facile est à l’aise par rapport à la nourrice, puisque l’administration assure à celle-ci une indemnité de 12 francs : aussi arrive-t-il fréquemment que les familles cessent d’acquitter la pension du nourrisson. Quelle en est la conséquence ? La nourrice était convenue avec les parens d’une rémunération mensuelle de 20 francs ; le second, puis le troisième mois se passe sans que l’argent arrive, et l’administration se substitue à la famille ; mais, au lieu de 20 francs, la nourrice n’en reçoit plus que 12, et le retour fréquent de pareils faits suffit pour éloigner les nourrices du grand bureau au profit des petits bureaux particuliers[1].

Du côté des parens, d’autres raisons viennent également agir dans le même sens. Bien que le grand bureau offre ses services à toute la population parisienne sans tenir compte de la fortune ou de la position sociale, il semble à beaucoup de personnes que l’intervention de l’assistance publique ait quelque chose de blessant pour leur amour-propre. Enfin une cause que nous ne pouvons taire agit plus puissamment encore. Les bureaux particuliers cherchent par toute sorte de moyens à s’emparer de la clientèle ; souvent les médecins servent d’intermédiaires entre les familles et les nourrices, et quelques-uns d’entre eux, laissant croire aux parens que leur préférence n’est dictée que par l’intérêt du nouveau-né, s’adressent aux bureaux particuliers dans le seul dessein de toucher une prime que ne leur offrirait pas le grand bureau.

Le service de la direction des nourrices, il faut le reconnaître, ne réalise pas tous les avantages qu’en laisserait espérer l’organisation. D’après M. le docteur Londe, un des médecins chargés des nourrissons dans le département de la Somme, les règlemens en sont imparfaitement exécutés. La dissémination des nourrices rend la surveillance du sous-inspecteur plus apparente que réelle ; ses visites aux nourrissons n’ont guère lieu que tous les trois mois, et si, au moment où il se trouve dans la commune, la nourrice est absente de sa demeure, le représentant de l’administration ne verra l’enfant dont il a la charge qu’une fois en six mois. Le médecin, il est vrai, doit le voir tous les mois, mais que peut faire cette surveillance (en admettant qu’elle s’exerce régulièrement) sur des

  1. Pour faire apprécier à sa juste valeur l’étendue de ce mal, ajoutons qu’en 1864, par exemple, sur 1,416 parens débiteurs de la direction, 681 seulement ont payé ce qu’ils devaient, et 735 n’ont rien payé ou ont laissé en partie leur dette en souffrance ; 150 enfans, complètement abandonnés par leurs parens, ont dû être envoyés à l’hospice des enfans assistés. Le nombre des mauvais débiteurs dépasse donc très sensiblement celui des familles qui ont rempli leurs engagemens, et, de 1855 à 1864, l’administration a eu à payer, pour cette cause seule, la somme de 836,749 francs, représentant la garantie des 12 francs par mois.