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rejeter tout le mal sur un seul homme, quelque important qu’ait été le rôle joué par lui. Assurément le nom de M. Haussmann recueillera une grande part de l’éloge ou du blâme prononcé sur les résultats de ces dix-sept années ; mais sera-t-il seul à subir le reproche d’avoir compromis, à la recherche d’améliorations précieuses, les finances de la ville ? Ne comprendra-t-on pas dans la même accusation tous ceux, ministres ou députés, qui ont approuvé les actes du préfet de la Seine, pallié ses torts, amnistié tous les moyens de trésorerie, sans lesquels M. Haussmann déclare qu’il sera impossible de faire rien de grand après lui ?

Un spirituel critique, sortant du Théâtre-Français où venait de se jouer l’unique représentation des Bâtons flottans, disait de l’auteur : « Il lui était si facile de ne pas faire cette comédie ! » Ce qui est plus facile encore que de ne pas faire une œuvre mauvaise, c’est de ne pas l’applaudir. Oui, quelque chose nous choque plus que les abus de pouvoir commis par M. Haussmann, ce sont les approbations que ses actes ont obtenues, et qui se sont si vite, chez les mêmes hommes, changées en reproches sévères ; mais il faut laisser de côté ces questions personnelles et porter le débat plus haut. La véritable responsabilité des fautes doit être imputée aux vices de la législation et du régime politique qui a pesé sur la France de 1852 à 1868. En outre, une partie du public a concouru par sa connivence et par des spéculations de tout genre à cette métamorphose à vue d’œil que nous nous plaisions à montrer aux étrangers. A tout prendre, si le but ne justifie pas tous les moyens, le résultat, considéré en lui-même, obtiendra peut-être l’adhésion reconnaissante de nos descendans. La transformation de Paris n’a pas été seulement une entreprise qui a coûté cher, une œuvre d’art gigantesque faite pour éblouir les yeux. En excitant dans toutes les classes le goût du bien-être, plus encore, l’amour du luxe, cette longue et active administration de M. Haussmann a contribué, pour une large part, au développement général du commerce et de l’industrie ; elle a servi la grande cause du travail. En satisfaisant aux besoins des classes les plus pauvres, en se préoccupant de l’instruction comme de la santé publique, elle a bien mérité des amis de la civilisation et du progrès.


BAILLEUX DE MARISY.