Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
COMTE DUCHÂTEL

La tâche que j’entreprends m’inquiète et me trouble en même temps qu’un attrait puissant me force à m’y hasarder. Il s’agit de raconter la vie de mon ami le plus cher, du compagnon de mes meilleures années, du frère que je m’étais choisi, à qui jamais je n’avais cru survivre, et dont personne ne peut me rendre les trésors d’affection. Comment parler publiquement de lui? J’aurais à parler de moi-même, mon embarras ne serait pas plus grand. Et cet effort que je m’impose, qui déjà me paraît tardif, peut-être aux autres va sembler superflu. Dès le jour de la séparation et la tombe encore entr’ouverte, cet ami n’a-t-il pas reçu de solennels adieux qui, pour le soin de sa mémoire, semblent avoir tout dit? Qu’ajouter aux paroles que devant le cercueil de M. Duchâtel a fait entendre M. Guizot? Et ces deux interprètes de la science et de l’art, parlant au nom de l’Institut, MM. de Parieu et Beulé, témoins d’autant plus sûrs qu’aucun lien personnel ne les avait unis au confrère qu’ils perdaient, et qu’un des deux, grâce à la politique, lui semblait encore plus étranger, en quels termes n’ont-ils pas rappelé tout ce que le monde avait connu de lui, son noble caractère, sa grande situation, ses talens, ses services? Et plus tard, au sein de ce même Institut, à deux reprises différentes, n’a-t-on pas entendu d’autres hommages non moins sincères et plus complets encore? Qui pourra mieux que M. Cuvillier-Fleury, en meilleurs termes, sous de plus vraies couleurs, tracer la vie publique de M. Duchâtel? Et pour mettre en lumière ce que les arts doivent de reconnaissance et à l’ancien ministre et à l’homme privé, qui sera jamais plus compétent, mieux inspiré que M. Henri Delaborde? On le voit donc, je pourrais m’abs-