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premiers jours d’avril 1866. Il se disposait à partir et à passer la mer pour assister aux funérailles de la reine Marie-Amélie. Il dut renoncer au départ et laisser à son fils le soin de le représenter à Claremont. son état cependant n’excitait pas encore de sérieuses alarmes; mais le mal était mystérieux, et sous la simple apparence d’un violent rhumatisme cachait un trouble plus profond. Les tentatives les plus diverses restèrent toutes impuissantes, et bientôt l’infirmité fut complète, les jambes refusèrent à peu près tout service. Cette cruelle épreuve, il la soutint avec calme, se résignant sans trop de peine aux privations de tout genre que sa grande activité lui rendait plus pénibles, se plaignant peu, même au sein de la plus confiante intimité, mais laissant par moment échapper de ces mots, surtout de ces regards où se trahit comme un suprême adieu et qui déchirent un cœur d’ami.

Ce triste état, sans s’aggraver beaucoup, durait depuis plus d’une année; les souffrances n’étaient pas plus vives, l’esprit conservait sa force et sa lucidité; tout semblait permettre l’espoir de prolonger sa vie encore longtemps. Vers le milieu d’octobre 1867, on lui recommanda de fuir l’hiver dont on sentait l’approche, de s’établir dans un climat plus doux; lui-même il souhaitait et hâtait le départ, souriant d’avance au soleil qu’il allait retrouver, lorsqu’une crise subite menaça presque aussitôt de devenir fatale. Il ne l’avait pas attendue pour faire avec lui-même et devant les hommes les apprêts d’un autre départ autrement sérieux. Depuis longtemps, ses convictions spiritualistes l’avaient élevé par degrés au besoin et à l’intelligence des vérités chrétiennes. L’adversité lui avait appris les douceurs de la prière, il en acceptait l’occasion, même en public, sans toutefois s’être encore affranchi d’un reste de respect humain et sans avoir donné à cette foi latente qui s’allumait en lui une solennelle consécration; mais dès les premiers temps de la maladie, se défiant de la fausse tendresse qui écarte du lit des malades tout avertissement sincère, il avait pris ses précautions pour ne pas être surpris. La compagne de sa vie avait reçu sa confidence. Il l’avait vue devant l’émeute, au dernier jour de la monarchie, oser protéger son départ, veiller même au salut de ses plus illustres amis; il lui savait l’âme assez ferme pour l’avertir à temps : il en exigea la promesse, et quand l’heure fut venue, elle eut la force de lui tenir parole; mais il était tout préparé, les voies étaient ouvertes. Un saint prêtre, esprit éminent, cœur compatissant et tendre, par quelques mots échangés avec lui, avait gagné sa confiance. Les entretiens se prolongèrent comme entre deux croyans. Celui qu’il s’agissait d’instruire s’était sans bruit initié lui-même aux vérités qu’on lui demandait de croire et pouvait en parler presque en théologien. Il était calme devant la mort, soumis et prêt au sacrifice. Aussi, par une juste