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aujourd’hui avec les nouveaux moyens dont nous pouvons disposer. Nous avons la liberté, c’est à nous de faire le reste ; c’est à l’opinion de s’aguerrir, de se discipliner dans cette carrière ouverte à l’initiative de tous, et ce serait dans tous les cas une singulière politique de choisir le moment où nous sommes, où les idées libérales ont retrouvé leur puissance, pour renoncer aux moyens d’action pacifique qui nous ont conduits là, et pour nous rejeter dans les aventures révolutionnaires où toutes les espérances du pays ont toujours avorté. Ce n’est pas nous seulement qui parlons ainsi, c’est M. Gambetta lui-même, qui disait l’autre jour à ses jeunes convives de Montrouge que les temps héroïques du parti républicain étaient passés, et qui ajoutait : « Tant que le champ reste ouvert à la discussion, à la controverse, à la propagande, tant que l’homme peut aborder l’homme, le citoyen le citoyen, tant que les âmes et les raisons peuvent s’entendre et se pénétrer, jusque-là il faut proclamer hautement que l’on méprise la force entre ses mains comme on la méprise entre les mains des usurpateurs, » Nous ne disons rien de plus. Le jour où cette conviction sera entrée dans tous les esprits, un grand progrès sera certes accompli. Ce n’est pas la sanction des dernières réformes qui peut l’empêcher, on en conviendra ; ce n’est pas un oui de raison et de réflexion qui retardera ce progrès, il ne peut que le hâter au contraire, et en fin de compte le mieux serait aujourd’hui de traverser au plus vite cette période agitée, où tout est suspendu, pour reprendre l’œuvre commencée au point où elle était lorsque ce tourbillon du plébiscite s’est élevé subitement sur notre chemin. — Après cela, jusqu’à ce moment, il ne serait peut-être pas inutile que M. Émile Ollivier prodiguât un peu moins les circulaires et les lettres sur le mode lyrique et pastoral. M. le garde des sceaux est un politique à part, un jeune Werther homme d’état, qui a certainement le talent le mieux fait pour exciter la sympathie ; mais il a vraiment quelquefois l’imagination trop poétique, et il faut qu’il se ménage pour le lendemain du plébiscite : c’est alors, selon toute apparence, que les vraies difficultés commenceront.

Jusqu’à quel point l’approche du plébiscite est-elle étrangère à cette agitation qui redouble en ce moment parmi les ouvriers de la plupart (les industries françaises ? Ce qui est certain, c’est que depuis quelque temps, surtout depuis qu’on a en perspective un de ces événemens faits pour passionner les esprits, ce mouvement de grèves a pris une intensité nouvelle ; il s’étend et se propage avec une sorte de régularité redoutable dans les grands centres industriels. Du Creuzot et de Fourchambault, il passe maintenant à Paris pour refluer de nouveau sans doute en province. Les fondeurs, les raffineurs de sucre, les débardeurs parisiens viennent à leur tour de sa mettre en grève, et dans bien d’autres métiers on est toujours sur le qui-vive. C’est une véritable épidé-