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gréens (champs brûlés) dont les anciens avaient fait l’image ou plutôt l’accès des enfers. Ces lieux, chantés par Virgile et par les poètes latins, avaient frappé trop vivement l’esprit des Grecs avant de les frapper eux-mêmes pour ne pas avoir une importance plus considérable que celle qu’ils ont aujourd’hui. La terreur qu’ils ont inspirée et les fables dont on les a entourés prouvent que les accidens avaient plus de violence. Ainsi le Styx, dont personne ne pouvait boire l’eau, devait dégager une grande quantité d’acide carbonique ; l’Achéron, sur les bords duquel erraient les ombres des morts, devait être beaucoup plus désolé que ne l’est le lac Fusaro ; le lac Averne tuait les animaux par ses émanations d’hydrogène sulfuré, de même que le lac Agnano les écarte encore.

Les voyageurs considèrent comme un jeu leur promenade aux enfers de Virgile ; ils rient de la solfatare, des étuves de Néron, de l’antre de la sibylle et surtout de la grotte du Chien. Ne soyons pas injustes envers les anciens. Il est sûr que les phénomènes avaient plus de gravité et plus de force à une époque où le Vésuve était inactif et n’offrait aucune issue aux feux souterrains. Cette corrélation entre des lieux si voisins est évidente : l’alternative même des manifestations géologiques sur un point et sur l’autre en est la preuve. Je disais plus haut que de l’an 1500 à l’an 1631 le Vésuve n’avait point eu d’éruption. Qu’est-il arrivé pendant cette période dans les champs phlégréens ? Dès l’an 1538, on y vit tout à coup surgir une montagne formée de laves, de pierres et de cendres ; l’éruption fut si violente que des villages furent engloutis, des personnes tuées, le lac Lucrin comblé en partie, Pouzzoles et Naples remplies de cendres, et au bout de deux jours la montagne avait 134 mètres de hauteur ; elle existe encore, c’est le Monte-Nuovo. Au contraire, lorsque le Vésuve reprit son action à peu près régulière, les champs phlégréens rentrèrent dans l’état où on les voit maintenant.

Une autre question se présente à l’esprit. À quelle époque peut avoir eu lieu la grande éruption du Vésuve qui a précédé l’histoire et après laquelle le volcan s’est reposé jusqu’au Ier siècle de l’ère chrétienne ? L’examen du sol permet à peine de dire que cela eut lieu à l’époque quaternaire, rien de plus. Les traditions manquent : aucun fait n’était resté gravé dans la mémoire des hommes. Les géologues d’alors étaient singulièrement ignorans, aussi bien Empédocle, qui se jetait dans le cratère de l’Etna pour mieux l’observer, que Pline l’Ancien, qui allait mourir au pied du Vésuve, faute de savoir que le gaz acide carbonique est plus pesant que l’air. La légende des Titans, fils de la Terre, vomissant des feux et lançant des pierres contre le ciel, les dieux répondant par la foudre, Encélade enseveli sous l’Etna, Typhée jetant des flammes par cent bou-