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REVUE DES HOMMES.

gâts ? Pourquoi les retrouve-t-on noircis ainsi que des morceaux de chêne plongés dans la vase depuis des siècles, ainsi que les pilotis des ponts, ainsi que les pieux des anciens quais de Carthage, ainsi que les bois roulés par le Jourdain et rejetés par la Mer-Morte après qu’elle les a saturés de chlorure de sodium ? Pourquoi tout prouve-t-il qu’ils n’ont été décomposés que par l’effet du temps ? Pourquoi le bois a-t-il gardé sa qualité et sa couleur dans les parties traversées par des vis et des clous, c’est-à-dire protégées contre l’humidité par l’oxyde de fer ? Pourquoi recueille-t-on des manuscrits écrits sur la moelle fibreuse d’un roseau, sur du papyrus, quand la lave aurait dû les dévorer et faire envoler leurs cendres comme celles de la feuille de papier que nous jetons sur un brasier ? Pourquoi cette lave bénigne a-t-elle respecté également les fruits, les noix, les amandes, le linge, la soie, les mèches de lampe qu’on retrouve par centaines, et tant d’autres objets éminemment combustibles qui n’ont fait que noircir et qui disparaissent d’ordinaire sans laisser de traces dans le plus faible incendie ?

Je pourrais pousser plus loin cette réfutation par l’absurde ; les argumens iraient en se multipliant. C’est qu’en effet un peu de réflexion suffit pour démontrer que le feu n’a pu avoir aucune part dans la destruction d’Herculanum, et que si la lave, qui est le plus terrible agent de destruction après la foudre, y avait pénétré, on reconnaîtrait à peine quelques pierres noircies, des briques éclatées et des marbres réduits en chaux ; mais, pour aller plus vite au but, je dirai que, dans un récent voyage, j’ai examiné avec une attention particulière le sol d’Herculanum, c’est-à-dire des parties que les fouilles ont rendues accessibles. Je n’y ai pu découvrir un centimètre carré de lave ; tout est cendre, rien que cendre, et cette cendre a été durcie par trois causes : l’eau, le tassement, le temps. C’est précisément cette dureté, qu’il ne faut pas s’exagérer, qui a trompé les visiteurs, surtout dans les corridors souterrains qu’on a creusés pour explorer le théâtre. On descend par des escaliers où suintent les infiltrations des rues de Portici ; on entend sur sa tête le roulement des voitures ; on traverse des tunnels que le frottement a rendus luisans ; on voit sur les voûtes raboteuses la fumée des torches déposée depuis un siècle ; on subit l’impression des ténèbres en même temps qu’on croit s’enfermer dans les entrailles de la terre. En un mot, ce voyage a quelque chose de fantastique qui frappe l’imagination, et l’on a besoin d’être rassuré en se répétant que ces couloirs sont taillés dans la lave et à l’abri de tout éboulement ; mais, si l’on gratte cette prétendue lave avec l’ongle, on s’aperçoit qu’elle est friable, qu’elle cède, et que ce n’est que de la cendre durcie. Les guides montrent dans le plafond