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poser une école à chaque commune sans imposer aux enfans de cette commune l’obligation de la fréquenter. Otez cette obligation, à force de sacrifices vous fonderez des écoles ; mais ces écoles pourront ne pas servir à ceux-là précisément auxquels elles seraient le plus nécessaires. Point d’âge fixe où on doive commencer à aller aux écoles, et où on doive les quitter ; nulle garantie d’assiduité, nulle marche régulière des études, nulle durée, nul avenir assuré à l’école. La vraie liberté, messieurs, ne peut être l’ennemie de la civilisation ; tout au contraire elle en est l’instrument, c’est là même son plus grand prix, comme celui de la liberté dans l’individu est de servir à son perfectionnement. Votre commission n’aurait donc point reculé devant des mesures sagement combinées que le gouvernement aurait pu lui proposer à cet égard, et elle en aurait pris peut-être l’initiative sans la crainte de provoquer des difficultés qui eussent pu faire ajourner une loi impatiemment attendue. »


On ne peut mieux plaider la cause de l’instruction obligatoire et démontrer la légitimité du droit qu’a la société d’exiger de tous ses membres la possession des connaissances qui sont nécessaires à tous. On ne peut mieux définir dans quelles limites la liberté du père de famille doit être respectée, et passé quelles bornes cette liberté devient un attentat aux intérêts de la société en même temps qu’un manquement aux devoirs de la famille. Que les adversaires du système de l’obligation y prennent garde en effet : le droit qu’ils réclament pour le père, c’est le droit de mal faire ; la liberté dont ils se montrent si jaloux, c’est la liberté de l’ignorance. Qu’on ne vienne pas nous dire que toute obligation légale est mauvaise, que toute contrainte répugne à notre caractère national. Nous trouverions dans nos lois bien des textes importans et parfaitement acceptés par l’opinion publique, où les devoirs des particuliers sont écrits et sanctionnés, quand la société est intéressée à les voir s’accomplir. Nos lois ne portent-elles pas que les époux « contractent ensemble par le fait seul du mariage l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfans ? » Cet article, et je cite l’opinion d’un jurisconsulte, M. Demolombe, suffirait à établir l’obligation de l’instruction. Le père n’est-il pas privé de la tutelle pour cause d’inconduite, d’incapacité ou d’infidélité ? Le mari n’est-il pas forci à fournir des alimens à sa femme, les enfans ne sont-ils pas aussi contraints à fournir des alimens à leurs vieux parens ? Enfin notre code n’oblige-t-il pas le père à laisser une partie de sa fortune à son enfant, l’atteignant ainsi dans la libre disposition de ses biens pour lui imposer l’observation d’un devoir ? Une loi qui forcerait le père à faire apprendre à lire et à écrire à ses enfans ne nous semble