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primaire et de l’enseignement secondaire, établie depuis les lois de 1833 et de 1850, produit tous les jours d’excellens résultats. Qui peut penser que rendre obligatoire la fréquentation de l’école publique, ce serait détruire les écoles privées, abolir la liberté de l’enseignement primaire, alors qu’on ne songe qu’à étendre cette liberté à l’enseignement supérieur ? Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit en aucune façon d’imposer au père de famille telle ou telle école, ce serait une atteinte grave au droit qu’il a de diriger l’éducation de ses enfans ; il s’agit de lui imposer l’obligation légale de prendre soin de cette éducation. Il est vrai que dans les communes trop pauvres pour faire vivre une école privée, dans les campagnes où l’état seul peut entretenir un instituteur, partout où l’industrie privée fait défaut, l’obligation de l’instruction équivaut à l’obligation de fréquenter l’école publique. Qui oserait dire cependant que dans de pareilles conditions, mieux vaut croupir dans l’ignorance qu’aller puiser la lumière dans l’école de l’état ? À supposer que l’enseignement qu’on y trouve fût défectueux ou nuisible, ne vaudrait-il pas encore cent fois mieux que la privation complète de toute instruction ? D’ailleurs, qu’on y pense bien, l’intervention de l’état dans l’enseignement n’est pas un danger d’asservissement pour les intelligences. Loin d’être un instrument de tyrannie, l’instruction est un puissant levier d’émancipation. Elle développe dans les esprits la conscience de la force individuelle, elle les prépare à l’initiative privée, et conduit par là même à restreindre le rôle de l’état dans la société. Tandis que l’ignorance resserre les chaînes de la centralisation et fait d’um peuple un troupeau soumis aux caprices de ses fonctionnaires, l’instruction forge des armes pour la revendication des droits de l’individu.

Il ne suffit pas de démontrer la légitimité de l’obligation de l’enseignement, il faut encore trouver une sanction à ce principe, et c’est surtout dans le choix de cette sanction qu’on doit se préoccuper de ne point froisser les susceptibilités de notre esprit national. L’Allemagne, cette terre classique de l’instruction obligatoire, ne peut nous servir entièrement de modèle pour l’organisation d’une répression ; les Allemands en effet, comme M. de Parieu l’a dit très justement au corps législatif, subissent aisément des institutions policières et coercitives dont notre tempérament ne pourrait supporter la réglementation étroite et vexatoire. Chez eux, la négligence des parens, punie d’abord d’une amende, encourt comme dernière pénalité l’emprisonnement. Cette rigueur ne saurait être admise en France. Il est vrai qu’elle n’est appliquée que fort rarement en Allemagne, et seulement après plusieurs récidives, mais il suffirait de l’inscrire dans nos lois pour rendre odieux chez nous le