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des maisons particulières contiguës avec l’intention de les réunir en un seul corps de bâtiment et d’y faire un séjour provisoire. Au fond, il avait envie d’aller se fixer à Amsterdam. Il lui semblait que cette grande ville ferait une capitale plus imposante que l’ancienne résidence des stathouders. Il se trompait. La Haye n’est pas ce qu’on peut appeler une grande ville, mais elle est élégante, bien percée ; elle a de belles places bien plantées, de grands hôtels d’ambassade, une des plus belles promenades de l’Europe, le Bois, à ses portes. Si donc ce n’est pas une grande capitale, c’est une résidence qui fait très bonne figure. Amsterdam au contraire est une ville trop exclusivement commerçante pour être la ville de la cour. Aujourd’hui, bien qu’ayant le titre de capitale du royaume, elle ne voit la famille royale dans ses murs qu’un petit nombre de jours chaque année. L’ancien et grandiose hôtel de ville, qui s’élève si majestueusement sur la place du Dam, en face de la bourse, et dont la masse imposante contraste d’une manière si originale avec les fines nervures de l’Église-Neuve, située tout auprès, est dans toute la force du terme la « maison commune, » riche et cossue, d’une cité de marchands, d’armateurs et de banquiers ; ce n’est pas, ce n’a jamais été un palais, bien que depuis le règne de Louis Bonaparte, et pour lui plaire, la ville ait consenti à l’appeler de ce nom. Point de jardins, point de cour d’honneur, point même de grande porte d’entrée. C’est un hôtel de ville superbe et un palais défectueux, lourd et mesquin. Ces considérations n’arrêtèrent pas le roi, qui se fit offrir ce gros bâtiment par la ville[1]. Celle-ci, du moins la classe supérieure, céda en rechignant. Elle tenait à son hôtel municipal, et le lui donna, n’osant refuser, à peu près comme la commission batave lui avait offert la couronne. Pourtant les boutiquiers et le petit peuple espérèrent que le séjour de la cour remédierait en partie à la stagnation des affaires, et ramènerait un peu de mouvement dans les rues, autrefois si animées, de la métropole commerciale. Le pays lui-même vit tous ces changemens avec déplaisir : il était habitué à La Haye, résidence du gouvernement central, et en Hollande c’est quelque chose qu’une habitude. Il calculait que l’installation provisoire à Utrecht, l’installation définitive à Amsterdam, coûteraient fort cher. Cela d’ailleurs n’empêchait pas le roi de faire procéder à la restauration et à l’ameublement du beau château du Loo, situé en Gueldre, ancienne résidence d’été et de chasse des princes d’Orange, et qui avait beaucoup souffert du passage des troupes françaises en 95. Cette nouvelle entreprise

  1. On crut aussi dans le pays que le roi craignait toujours à La Haye que les Anglais, débarquant inopinément à Scheveningen, ne l’enlevassent. Je doute fort toutefois que telle ait été son idée.