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devait engloutir de belles sommes, non moins que l’achat ordonné par le roi de la maison de campagne de MM. Hope, près de Harlem, connue sous le nom du Pavillon, et dont il fit l’acquisition en la payant fort cher à des propriétaires récalcitrans. Et c’est au moment où le roi prêchait l’économie sur tous les tons qu’il donnait sans motif sérieux l’exemple d’une pareille prodigalité !

On avait néanmoins une telle peur de voir le roi se dégoûter du trône et partir, qu’on dissimula de son mieux le mécontentement qu’on ressentait. La Haye fut consternée ; elle perdait ce qui faisait en quelque sorte sa raison d’être ; pourtant elle se tut, les autres villes de même. Utrecht, ville de rentiers, de petits nobles, de puritains et de professeurs, n’aime point ce qui tend à troubler la placide monotonie de son existence. Donc Utrecht se souciait très peu de recevoir la cour à demeure ; elle se tut également. Louis prit ce silence pour une approbation : ce n’était que de la résignation. Plusieurs changemens, dont les motifs ne furent pas très clairs, eurent lieu aussi dans la composition du cabinet. M. de Hogendorp, ministre de la guerre, qui succédait lui-même au général Bonhomme, fut envoyé comme ambassadeur à Vienne et remplacé par le général Janssens, défenseur malheureux, mais courageux, du Cap. M. van Maanen succéda au département de justice et police à M. van Hoof, qui n’avait pas, semble-t-il, déployé les talens que le roi lui supposait. L’amiral Ver Huell, ministre de la marine, reçut l’ordre d’aller à Saint-Pétersbourg. Le fin mot de ces changemens, c’est que Louis soupçonnait ces ministres, surtout Hogendorp et Ver Huell, d’être plus dévoués à son frère qu’à lui-même. Ses soupçons ne purent que s’enraciner quand il apprit par une lettre des plus brutales de Napoléon que celui-ci refusait l’ambassadeur que Louis voulait lui envoyer, et réclamait impérieusement Ver Huell comme représentant de la Hollande à Paris. L’amiral, qui voyageait à très petites journées vers Saint-Pétersbourg, comme s’il eût attendu un contre-ordre, fut rappelé à temps, remplacé par M. Six auprès d’Alexandre, et n’eut qu’à tourner bride dans la direction de la France. On vit bientôt avec regret M. van der Goes abandonner le portefeuille des affaires étrangères et céder la place à M. Roell, ex-secrétaire d’état. Il semble que la raison de ce dernier changement fût toute personnelle. Van der Goes était pessimiste, médiocre courtisan et habitué à décider lui-même dans les affaires diplomatiques, dont il avait depuis longtemps la direction. En même temps arriva de France le ministre Alexandre de Larochefoucault, que Louis-regarda dès la première heure comme un espion mal disposé pour lui et la Hollande, et dont les allures cassantes, le langage irritant, n’étaient pas de nature à modifier cette première impression.